Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
PORT-ROYAL

Il dit souvent des choses qui semblent lui avoir été inspirées et venir immédiatement du Ciel. Entre autres, il m’assura un jour qu’il voyoit les Mystères de l’autre vie plus sensiblement que je ne voyois les affaires de celle-ci. ( Nous croirions que c’est ici l’hyperbole de Balzac, si nous ne savions d’ailleurs à quoi nous en tenir.) Il est vrai que la démonstration qu’il m’en voulut faire ne me satisfit pas ; mais je crus que c’étoit ma faute, et non pas la sienne. Si cet homme-là est trompé, je vous avoue que je le suis bien aussi ; et c’est une grande pitié de nous autres pauvres mortels, qui devrions nous humilier toujours devant le trône de Dieu. Je ne saurois me persuader qu’il prétende à la qualité de chef de parti, ni qu’il ait jamais eu dessein de dogmatiser. Car homme du monde ne parut jamais plus respectueux envers le Saint-Siège ni plus persuadé que lui de la toute-puissance de Rome. ( Nous savons encore à quoi nous en tenir sur ce point, et il y faut rabattre de ce que dit Balzac, aussi bien que de ce qui suit.) Il est, au reste, grand admirateur des écrits de feu monsieur le cardinal de Bérulle, et je ne trouve point ce qui l’a pu obliger de peu estimer ceux du Père Seguenot, son compagnon de fortune. ( Il se trompait en le croyant mêlé au livre da Père Seguenot.) Pour moi, je vous avoue que son style ( le style du Père Seguenot, encore le style ! ) m’a ravi, et laisse sa doctrine à examiner à qui il appartiendra d’en juger ».[1] »


    prend garde, quelques pensées de M. de Saint-Cyran dans ses Lettres, parce que, comme il n’avoit pas toute la fécondité du monde, il admiroit particulièrement celle de M. de Saint-Cyran, et étoit ravi d’emprunter quelque chose de son abondance. » Balzac ne profitait pas seulement des pensées, mais il retenait aussi les mots, comme on le voit dans une lettre bien postérieure (mai 1652) à Conrart ; on y lit : « Quatre ou cinq grandes dépêches que je vous ai faites se seroient-elles perdues par les chemins ?… Je serois au désespoir d’avoir perdu tant de secrets et tant de paroles passionnées que le bon M. de Saint-Cyran appeloit autrefois effusions de cœur et débordements d’amitié. » On surprend là l’espèce de placement que réservait Balzac aux expressions spirituelles de M. de Saint-Cyran et leur traduction en littérature ; il en faisait ce qu’on appelle en rhétorique lumina orationis.

  1. J’ai sous les yeux la réponse de Chapelain à cette lettre de Balzac (25 juillet 1638) ; on y trouvera un ou deux traits qui