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LIVRE DEUXIÈME.

« Monsieur,
« Je ne m’étonne de rien ; mais véritablement je ne m’attendois pas à la subite retraite de monsieur Le Maître. Je ne vous fais point de question là-dessus, ni ne vous demande pas s’il a été inspiré immédiatement du Saint-Esprit. Les causes secondes n’ont aucune part en cette conversion ; comme vous diriez un mauvais succès en amour, un rebut des supérieurs, ou quelque autre disgrâce de cette nature. Sa piété n’est point un dégoût ni une lassitude d’esprit, un abattement de courage ou faute de force. ( On voit qu’il s’amuse à pousser son développement ) … Mais ici il n’y a rien eu de semblable … Celui-ci étoit confirmé dans sa belle réputation et avoit au delà de ce qu’il faut pour répondre à ces grandes actions[1] «qui avoient étonné tout le Barreau. Une si étrange résolution pourra être diversement interprétée : pour moi je n’en saurois juger que favorablement. Je veux croire qu’il n’a pu résister à la violence de la Grâce qui l’a enlevé du monde, et que Dieu a été le vainqueur dans le combat qui s’est fait entre lui et l’homme. Mais pourquoi parie-t-il tant de ses infidélités et de ses crimes, dans la lettre qu’il a écrite à Monsieur le Chancelier ? Je sais bien que c’étoit le style de saint François ; mais ce style ( toujours le style ) ne peut être tiré en exemple, et nous savons, vous et moi, qu’il n’a jamais fait d’excès qu’à étudier, et que toutes ses débauches ont été honnêtes et vertueuses.»

On voit que Balzac ne comprend pas ce que c’est que péché au sens chrétien, infidélité et crime de cœur au spirituel ; la grandeur de cette lettre au Chancelier lui échappe. Vir ingenio compto, a-t-on dit de lui, et eloquentiæ laude clarus, sed in religionis negotio plus quam infans.[2]

  1. Actions, plaidoiries, et, plus généralement, discours publics ; il y entre une idée d’animation, de déploiement de forces, de véhémence.
  2. Il est douteux qu’il eût compris davantage la grandeur de la lettre de M. Le Maître à son père, lui qui ne trouvait à écrire sur la mort du sien que cette incroyable lettre à Conrart (octobre 1650) : « Depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, j’ai perdu mon