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PORT-ROYAL

ries-là me sont venues à l’esprit, mais je les ai rebutées. » Malherbe avait le dédain de tout premier occupant et régnant à l’égard de son successeur immédiat. Il se moquait volontiers, avec l’aristocratie du poète, de ceux qui disaient que la prose avait ses nombres ; il ne concevait pas des périodes cadencées qui ne fussent pas des vers, et n’y voyait qu’un genre faux de prose poétique. Balzac a bien pourtant l’honneur d’avoir achevé l’œuvre de Malherbe en l’appliquant à la prose, d’avoir introduit là un ton, un procédé qui n’est pas poétique, mais plutôt oratoire, une forme de développement, auparavant inconnue dans cette rigueur, et qu’il n’a plus été possible d’oublier ; on la retrouve presque semblable, avec la pensée en sus et le génie du fond, dans Jean-Jacques.

Si l’on pouvait noter le mouvement, le nombre, les coupes, les articulations et comme les membrures de la phrase indépendamment du sens, il y aurait bien du rapport entre Balzac et Jean-Jacques.

Balzac, je l’ai dit ailleurs, c’est la prose française qui fait en public, et avec beaucoup d’éclat, sa rhétorique, une double et triple année de rhétorique.

Tous les grands prosateurs qui viennent après sont bien loin de reprendre nécessairement le moule de Balzac. Bossuet est bien autrement libre et irrégulier dans sa majesté oratoire ; on a madame de Sévigné et sa plume agréablement capricieuse ; on a Montesquieu qui aiguise et qui brusque son trait, Voltaire qui court vite et pique en courant ; mais chez tous ces styles, même les plus dégagés, on sent qu’il y a eu autrefois une rhétorique très forte, et c’est Balzac qui l’a faite.

Aujourd’hui, quand on lit Balzac, on est frappé, avant tout, de l’uniformité du procédé : le vide des idées laisse voir à nu et sans distraction ce redoublement continuel