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PORT-ROYAL.

’faisant fine chère, et diversifiant à l’infini son seul et unique talent, le talent de complimenter et de faire des phrases sur n’importe quel objet, grand ou petit ; mais il les faisait très-bien et en perfection. Ces orgueilleuses délices d’une vie de grand seigneur littéraire furent, il est vrai, interrompues plus d’une fois par de violentes querelles et comme par des émeutes de lettrés qui s’insurgeaient contre leur chef et souverain légitime : mais Balzac, tout en s’en piquant et s’en préoccupant beaucoup, y parut peu de sa personne et mit ordre à toutes les séditions par des lieutenants. Quand l’Académie se fonda, il en fut désigné l’un des premiers, sans y jamais venir : mais, chaque membre de ce Corps, déjà illustre en naissant, le considérait comme un maître, et son nom décorait une liste qui n’aurait pu se passer de lui. Il était l’Académiste par excellence. Il mourut, en 1654, dans des sentiments de piété assez fastueuse et qui n’était (s’il est permis d’en juger ) ni plus sincère, ni plus mensongère que tous les autres sentiments qu’il affectait. Balzac n’était qu’un homme de forme et d’apparence, de ceux qui, même quand ils sont seuls, passent leur vie en mascarade, ne pouvant faire mieux, et trouvant qu’un visage n’est jamais si beau que quand il a son masque. Ainsi, sachons bien à quoi nous en tenir : c’est un lettré accompli ; mais ne nous faisons d’ailleurs aucune illusion à son sujet.

« Ni le chrétien (je parle du chrétien tout à fait sérieux et perspicace) ne trouve son compte avec Balzac. J’ai raconté ailleurs l’histoire de ses relations avec M. de Saint-Cyran qui, pour le punir, mettait ses lettres en quarantaine et en pénitence, et ne les lisait que trois jours après les avoir reçues.

« Ni le philosophe et l’homme de pensée ne trouve son compte avec lui. Je dis cela même après avoir lu le bel éloge que Descartes a fait de Balzac et de ses Lettres[1] : j’ai peine à croire que Descartes

    mais avec un manteau et comme un pan de draperie romaine, non pas en robe de chambre comme il était presque toujours chez lui.

  1. C’est dans la centième lettre de Descartes: « Quelque dessein que j’aie en lisant ces Lettres, dit-il, soit que je les lise pour les examiner, ou seulement pour me divertir, j’en retire toujours beaucoup de satisfaction ; et bien loin d’y trouver rien qui soit digne d’être repris, parmi tant de belles choses que j’y vois, j’ai de la peine à juger quelles sont celles qui méritent le plus de louanges. La pureté de l’élocution y règne partout comme fait la santé dans le corps, qui n’est jamais plus parfaite que lorsqu’elle se fait le moins sentir. La grâce et la politesse y reluisent comme la beauté dans une femme parfaitement belle, laquelle ne consiste pas dans l’éclat de quelque partie en particulier, mais dans un accord et un tempérament si juste de toutes les parties ensemble qu’il n’y en doit avoir aucune qui l’emporte par-dessus les autres, de peur que, la proportion n’étant pas bien gardée dans le reste, le composé n’en soit moins parfait. Mais comme toutes les parties qui ont quelque avantage se reconnoissent facilement parmi les taches, etc., etc. ( {{lang|la|Quocumque animo legam has Epistolas, sive ut serio examinem, sive magis ut oblecter, tantopere mihi satisfaciunt, ut non modo nihil inveniam quod debeat reprehendi, sed ne quidem etiam in rebus tam bonis facile judicem quid