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LIVRE TROISIÈME.

cette matière chrétienne, et se borne à extraire. Ne nous lassons pas : il convient de s’étendre à l’aise sur toutes les circonstances d’une si grande âme, et d’y suivre, comme depuis l’aube, les heures et les minutes de la Grâce.

« Ma très-chère Sœur, je ne sais si j’ai eu moins d’impatience de vous mander des nouvelles de la personne que vous savez, que vous d’en recevoir ; et néanmoins il me semble que n’ayant point de temps à perdre, je n’ai pas dû vous écrire plus tôt, de crainte qu’il ne fallût dédire ce que j’aurois trop tôt dit. Mais à présent les choses sont à un point qu’il faut vous les faire savoir, quelque succès qu’il plaise à Dieu d’y donner ; je croirois vous faire tort si je ne vous instruisois de l’histoire depuis le commencement.
« Quelque temps devant que je vous en mandasse la première nouvelle, c’est-à-dire environ vers la fin de septembre dernier, il me vint voir ; et, à cette visite, il s’ouvrit à moi d’une manière qui me fit pitié, en avouant qu’au milieu de ses occupations qui étoient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvoient contribuer à lui faire aimer le monde et auxquelles on avoit raison de le croire fort attaché, il étoit de telle sorte sollicité à quitter tout cela, et par une aversion extrême qu’il avoit des folies et des amusements du monde, et par le reproche continuel que lui faisoit sa conscience, qu’il se trouvoit détaché de toutes choses d’une telle manière qu’il n’avoit jamais été… ; mais que d’ailleurs il étoit dans un si grand abandonnement du côté de Dieu qu’il ne sentoit aucun attrait, mais qu’il sentoit bien que c’étoit plus sa raison et son propre esprit qui l’excitoit à ce qu’il connoissoit le meilleur, que non pas le mouvement de celui de Dieu ; que dans le détachement de toutes choses où il se trouvoit, s’il avoit les mêmes sentiments de Dieu qu’autrefois[1], il se croiroit en état de pouvoir tout entreprendre, et qu’il falloit qu’il eût en ces temps-là d’horribles attaches pour résister aux grâces que Dieu lui faisoit et aux mouvements qu’il lui donnoit.
« Cette confession me surprit autant qu’elle me donna de

  1. Autrefois, au temps de sa première conversion (1646).