Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
491
LIVRE TROISIÈME.

prête à faire profession, fût capable d’être affligée de quoi que ce fût, et surtout de cette bagatelle de se voir réduite à être reçue pour rien ! À force de bonnes et vives paroles elle réussissait pour un moment ; la sœur de Sainte-Euphémie entrait en insensibilité ou même en joie de se voir ainsi dénuée. Mais, à sa honte, cette victoire durait peu, et, à peine sortie d’auprès de la mère Agnès, elle retombait dans sa première faiblesse et ses tourments.

La mère Agnès cependant allait chercher du renfort ; elle courait tout raconter à la mère Angélique, qui était aux Champs, et elle faisait avertir M. Singlin. La mère Angélique fut aussitôt d’avis d’abandonner tout ce bien aux parents, sans plus s’en mêler ni s’en mettre en peine, et de ne songer qu’à passer outre et faire profession. Quant à M. Singlin (mais je ne puis rien supprimer de ce qui suit), —

« M. Singlin ne se rendit pas d’abord à cette pensée, craignant qu’il n’y eût peut-être trop de générosité et pas assez d’humilité dans cette action. Sur quoi il nous dit avec beaucoup de force qu’après avoir surmonté la cupidité insatiable du bien qui règne presque partout, il faut beaucoup craindre de tomber dans l’autre extrémité, qui consiste dans la cupidité de l’honneur qui en revient, la vanité qu’on peut tirer des actions qu’on fait ensuite, le mépris de tous ceux qu’on y voit encore attachés, et l’ostentation de cette vertu ; et qu’après avoir établi son honneur à être au-dessus de l’amour des richesses, comme les autres à en posséder beaucoup, si on n’y prend bien garde, on fait des actions qui sont à la vérité tout opposées, mais par le même principe et la même ambition, qui fait que les uns disputent leur droit avec trop de chaleur, et que les autres le cèdent avec trop de facilité. « Il faut, en toutes choses, ajouta-t-il, se rendre neutre, et se dépouiller de tout intérêt, pour ne regarder que ce que la justice demande de part et d’autre ; et si les personnes à qui nous avons affaire s’égarent et s’emportent à quelque injustice contre nous, la charité