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LIVRE DEUXIÈME.

étant présent, ils se trouvent interrompus par les cris d’un pauvre paysan qui vient demander secours pour sa femme en couche : le nouveau-né était mort sans baptême. Cela met ces Messieurs sur le chapitre des enfants, et M. de Saint-Cyran s’y développe à loisir. Il y a d’abord des choses dures et, pour nous, un peu révoltantes ; mais il y a aussi des choses bien justes et tendres jusque dans leur sévérité, et je me hâte de les dire, c’est le vrai père des Écoles de Port-Royal qui va parler :

« Je vous avoue, disoit-il à M. Le Maître, que ce seroit ma dévotion de pouvoir servir les enfants. Étant au Bois de Vincennes, je m’occupois avec le petit neveu de M. le Chantre ; je lui montrois les rudiments, les genres et la syntaxe. Quoiqu’il fût neveu du Chantre, il étoit fils d’une jeune veuve fort pauvre, ayant d’ailleurs d’autres enfants. Après l’avoir nourri quelque temps, je l’envoyai à M. le Chambrier, à Saint-Cyran ; je le lui recommandai comme un enfant de Dieu, et que j’aimois autant que s’il eût été le mien propre. J’aurois pu le garder comme une espèce de jouet dans ma prison, mais j’aimai mieux m’en priver pour le tirer de bonne heure d’un lieu où il ne pouvoit avancer dans la vertu.… J’ai aussi élevé un petit menuisier qui est encore à Saint-Cyran. Je donne ordre qu’on lui parle de Dieu de bonne heure, et qu’on le fasse prier ; car sans cela on ne fait rien. J’aime extrêmement toute sorte d’enfants. J’envoie aussi le petit V. à mon abbaye, pour éprouver pendant six mois s’il voudroit tendre à la religion ou à l’étude ; et, suivant qu’on en jugera, je me résoudrai à le mettre dans quelque travail ou occupation qui ne soit pas périlleuse, s’il ne veut se donner à Dieu. … Je vous fais tout ce détail pour vous montrer combien j’aime les enfants ; et, comme la Charité dit qu’il les faut aimer et prendre à la mamelle, ma dévotion, au Bois de Vincennes, étoit de me charger d’enfants à cet âge-là, de payer les nourrices, de leur faire acheter des chemises et autres linges. J’avois même envie d’envoyer vers les frontières recueillir quelques petits enfants orphelins, qui