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PORT-ROYAL.

seul objet de son esprit ; puisque jamais rien ne l’a pu satisfaire que sa connoissance… Une fois, entre autres, quelqu’un ayant frappé à table un plat de faïence avec un couteau, il prit garde que cela rendoit un grand son, mais qu’aussitôt qu’on eut mis la main dessus, cela l’arrêta : il voulut en même temps en savoir la cause, et cette expérience le porta à en faire beaucoup d’autres sur les sons. Il y remarqua tant de choses, qu’il en fît un traité à l’âge de douze ans, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné.»

Cette faculté de connaissances des causes est une vocation aussi distincte, chez ceux qui l’ont à ce degré, que la faculté de poésie chez le poète, et celle de musique chez le musicien ; c’est un des ministères spirituels que Dieu répartit aux hommes. Tous les grands savants inventeurs en offrent de bonne heure les signes. Un des derniers inventeurs de cet ordre que nous ayons vus, M. Ampère, la déclara, dès l’enfance, à un degré aussi éminent peut-être que Pascal ; mais ce qu’il y a de particulièrement remarquable en celui-ci, c’est la force de volonté qui dirige et plie cette faculté de recherche : il ne la suivit pas, il la domina, la rangea sous lui, la porta à volonté dans un champ ou dans un autre. Ces grandes et ardentes facultés spéciales sont au dedans de ceux qui les possèdent comme des coursiers le plus souvent indomptés, dévorants, qui se repaissent du reste de l’homme, et qui emportent après eux leur char et leur Hippolyte.[1] Chez Pascal, non. Le coursier, si puissant et si irrésistible qu’il pût paraître, fut dompté et mené par quelque chose de plus fort que lui, et trouva son maître dans la volonté, — dans la volonté ancrée à la Grâce.

  1. Ils ont pu paraître froids et secs la plupart, ces grands génies mathématiques, et par conséquent très-peu dévorés. Qu’on remonte plus avant : le moral, le religieux, le cœur en eux, qu’était-il devenu