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LIVRE DEUXIÈME.

moi[1]. Tout cela ne m’a pas porté plus avant, par la grâce de Dieu, qu’à des admirations intérieures ; et je suis prêt à rentrer dans les mêmes combats avec les hommes, sans me soucier des événements qui en pourroient naître. Vous jugez avec quelle ouverture je vous parle, et que je prends plaisir à répandre mon cœur dans le vôtre ; je crois parler à moi-même en parlant à mon singulier ami.… S’humilier, souffrir et dépendre de Dieu, est toute la vie chrétienne, si on fait ces trois choses continuellement et tous les jours avec joie et tranquillité au fond de l’âme.»

M. de Saint-Cyran cessant de parler sur ce sujet, M. Le Maître lui met en main la traduction des Offices de Cicéron qu’il avait entreprise sur son conseil. M. de Saint-Cyran s’excuse de l’y avoir engagé : il lui est toujours resté, dit-il, un scrupule sur cela. Pourtant, parmi les raisons qui l’ont déterminé, il allègue la plus considérable : Dieu, selon lui, s’est autant figuré, avec toutes les vérités de l’ordre de la Grâce, dans l’ordre de la nature et dans l’ordre civil que dans la loi de Moïse. Or, il a remarqué, en lisant autrefois les Offices, une vérité concernant la puissance des Prêtres, qui lui frappa l’esprit et lui montra clairement que la raison d’un Païen avait mieux vu un principe fondamental de toutes les puissances civiles et ecclésiastiques émanées de Dieu aux hommes, qu’on ne l’avait fait depuis dans les Écoles : « Car, ajoute-t-il, il faut avouer que Dieu a voulu que la raison humaine fit ses plus grands efforts avant la loi de Grâce, et il ne se trouvera plus de Cicérons ni de Virgiles. » Vue ingénieuse, perspective inaccoutumée, qui tendrait à partager l’histoire littéraire en deux et qui la subordonne, comme le reste, à la venue de Jésus-Christ : le beau surtout d’un côté, le vrai de l’autre, C’est dans ce sens qu’un penseur chrétien a pu dire : «Dieu, ne pouvant départir la vérité

  1. Toujours les trois amis de Job, et les bons amis de Cour.