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PORT-ROYAL

une maison où il y avait des femmes, « sous un toit, comme dit M. de Saint-Cyran, où il y avoit diverses matières aux illusions dont s’accuse David dans ses Psaumes de la pénitence.» Ces femmes pieuses avaient parlé de se convertir et de suivre M. Le Maître au désert ; M. de Saint-Cyran avait tremblé :

« Car pour moi, dit-il, je connois un peu le Diable, que Tertullien dit n’être connu que des seuls Chrétiens, et beaucoup plus des uns que des autres, selon les expériences et les connoissances de chacun. Je puis dire, comme l’Apôtre : Non ignoramus cogitationes ejus. Je sais qu’il n’a pas besoin de grande familiarité ni de longues converasations pour blesser les âmes, et qu’une seule vue lui suffit, n’ayant pris David que par là. Il faut être vieux dans les métiers pour en savoir les ruses.… Les moindres nuages sont à craindre.»

On se rappelle que M. Le Maître, à qui dans le temps on avait fait part de la crainte de M. de Saint-Cyran, s’était brusquement résolu à ne plus bouger de sa cellule et à ne parler à personne. Il revient, en causant, sur cette résolution, et M. de Saint-Cyran, de nouveau, l’en blâme comme d’une sensibilité trop vive :

«Je vous supplie donc de ne plus faire à l’avenir, à l’occasion de ces avis et d’autres événements désagréables, ces sortes de résolutions, où quelquefois votre mouvement vous porte, de ne bouger de votre chambre. Permettez-moi de vous dire que, si homme du monde avoit sujet de faire ces résolutions, ce seroit moi qui ai éprouvé depuis mon emprisonnement jusqu’où va le dérèglement des hommes ; je ne dis pas de ceux du monde, mais de ceux que le monde estime en être dehors et n’avoir leur conversation que dans le Ciel. Si j’avois pu être maître de mon temps depuis ma liberté, pour employer en repos une ou deux heures, j’aurois mis sur le papier, par chefs et articles, la variété des jugements et humeurs des hommes, et de mes amis, et des gens de bien, qui ont parlé pour