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LIVRE TROISIÈME.

Madame de Sévigné, qui était en guerre avec son fils sur Nicole qu’elle trouvait délicieux et qui aurait bien voulu faire un bouillon d’un certain petit traité de lui pour l’avaler, madame de Sévigné, dans sa raison libre et conciliante, ne pensait pas moins de bien de Montaigne. Elle était de l’avis de madame de La Fayette, qui disait que c’eût été le plus agréable voisin. À propos d’amusements dans ses loisirs de Livry : «En voici un que j’ai trouvé, s’écrie-t-elle, c’est un volume de Montaigne que je ne croyois pas avoir apporté. Ah ! l’aimable homme ! qu’il est de bonne compagnie ! c’est mon ancien ami ; mais, à force d’être ancien, il m’est nouveau. (Il est vrai que la page qu’elle vient de lire avec larmes raconte la tendresse du maréchal de Montluc pour son fils, et elle, dans la sienne, c’est à sa fille qu’elle pense.) Mon Dieu ! que ce livre est plein de bon sens !»[1]

Madame de Sévigné a beau faire ; en vain, de son ton le plus aisé, elle essaye de rompre à cet endroit la ru-

    sit. L’abbé Grégoire s’est laissé aller à une conjecture complaisante lorsque, dans ses Ruines, il nous le présente comme de compagnie avec les autres illustres dans les promenades du vallon. La Bruyère, religieux encore, mais sur bien des points pénétré de Montaigne, lui cédant en détail et ne se courrouçant point contre lui ; La Bruyère, qui couronna, par un très-beau chapitre philosophique chrétien, un livre qui s’était assez aisément passé de Christianisme jusque-là, n’avait aucun goût pour cette austérité de réforme hérissée de controverse, et, comme on l’a indiqué précédemment, c’est aux Jansénistes au moins autant qu’aux Jésuites qu’il pensait en introduisant dans ce même chapitre des Ouvrages de l’Esprit cette remarque sensée à l’adresse des factums de tout genre, et principalement théologiques, qui vieillissent si vite et dont, une fois le moment passé, l’on ne veut plus : « Ils deviennent des Almanachs de l’autre année.» Sentence terrible de justesse, à laquelle, en critique sagace, il mettait déjà les noms !

  1. Madame de Sévigné avait pour maxime : Glisser sur les pensées ; et Montaigne : «Il fault légierement couler le monde et le glisser, non pas l’enfoncer ; la volupté mesme est douloureuse dans sa profondeur.»