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LIVRE DEUXIÈME.

doit aussi à Dieu par ce long prosternement, qu’il lui plût de changer en bénédictions toutes les vengeances que ce Psaume lui avoit fait prononcer contre ses ennemis, afin que leur mort ne fût qu’une destruction de ce qu’il y avoit de mauvais en eux, qui en fît des hommes tout nouveaux, comme le dit si souvent saint Augustin. »

Que vous semble de cette interprétation de la charité qui, devant un tel ravissement d’une âme, et au plus fort de son extase de prière, n’imagine rien de plus probablement présent à sa pensée que le pardon des persécuteurs ? C’est quelque chose de cette inspiration commune à tout vrai chrétien, qui a depuis poussé l’abbé Grégoire, cet homme de bien et de colère, et souvent si loin du pardon, à ne pas terminer ses Ruines de Port-Royal sans un vœu de clémence pour les destructeurs mêmes ; il y prie, du fond de l’âme, pour les Jésuites.[1]

  1. L’accent du passage est profond, sincère, et, quand je le lis haut, il m’arrache une larme. L’auteur n’y arrive que par degrés dans ce dernier chapitre plus éloquent vraiment qu’il n’appartient d’ordinaire à un érudit aussi saccadé et aussi peu écrivain ; mais ici le cœur l’a inspiré. « La méditation, s’écrie-t-il, semble habiter cette contrée où retentissaient jadis des voix mélodieuses et le chant céleste des vierges. Aujourd’hui le silence y règne ; à peine est-il quelquefois interrompu par le claquet du moulin et les gémissements du ramier solitaire qui habite les forêts… Sur cette terrasse de la maison des Granges où tant de savants livrés au travail, à l’étude, méditaient les jours éternels, que de fois j’ai visité ces arbres antiques plantés par la main de d’Andilly !… Que de fois du haut des rochers suspendus sur la route de Chevreuse, au coucher du soleil, réfléchissaut sur le soir de la vie, je me livrai aux impressions qu’inspire l’aspect de ces lieux, en pensant que pour la dernière fois peut-être mes yeux contemplaient cette solitude !… Dans les lieux où la mort exerce plus fréquemment ses ravages, au milieu des cités, on l’oublie ; ici, je retrouve son image : l’espérance lui ôte son appareil lugubre ; elle n’est plus que le passage des ténèbres à la lumière, de la crainte à la certitude, du désir à la réalité, de l’exil à la terre promise. Dans cette grotte, Saci, toujours valétudi-