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LIVRE DEUXIÈME.

de l’Éternel prolonge les jours, mais les ans des méchants seront retranchés »[1] Quoi qu’il en soit de ces rencontres assez singulières, Richelieu mort, M. de Saint-Cyran redevenait libre. M. Molé en parla le premier au roi et obtint la grâce : M. de Chavigny pressa le moment[2]. M. d’Andilly, l’ami par excel-

  1. J’emprunte ceci en particulier au chapitre XVI, livre II, du tome I, d’une Histoire du Jansénisme, manuscrite (Bibliothèque du Roi, 911 Saint-Germain), que j’ai eu précédemment l’occasion de citer au chapitre IX, livre I (tome I, p. 220) du présent ouvrage. J’ai indiqué déjà que cette Histoire manuscrite est de M. Hermant, chanoine de Beauvais, docteur en Sorbonne, ami de M. Arnauld, et auteur, avec M. de Tillemont, des Vies de saint Athanase, de saint Ambroise, etc., etc. Ce savant docteur, que nous aurons encore à nommer à la rencontre, est une figure peu particulière, qui dit assez peu, et qui rentre surtout dans les coins contentieux de notre sujet. Il fait preuve en cet endroit d’un esprit moins éclairé, ce semble, qu’on ne le voudrait chez nos pieux amis. Ces sortes d’interprétations, au reste, sont généralement très-prodiguées à Port-Royal, aussi bien que les prédictions et les miracles, dont celui de la Sainte-Épine est le plus connu.
  2. On a publié dans ces derniers temps (au tome III, p. 39, des Mémoires de Matthieu Molé, 1856) la lettre que M. Molé écrivit à ce sujet à l’un des secrétaires d’État, qui paraît être M. de Chavigny : « Monsieur, les vœux publics qui se font pour notre Prince, pour la liberté qu’il lui a plu d’accorder aux prisonniers qui étoient en la Bastille, m’obligent, ce me semble, de conjurer Sa Majesté de passer un peu plus avant et d’envoyer jusques au Bois de Vincennes, afin que M. l’abbé de Saint-Cyran puisse jouir du même bonheur. Je le connois, il y a plus de quinze ans, et (il) prenoit soin de venir souvent au logis durant ce temps, et n’ai jamais rien reconnu en lui, soit pour sa doctrine, soit pour ses mœurs, qui puisse seulement porter ombre. J’en avois parlé par trois fois à feu M. le Cardinal et lui avois offert d’être sa caution ; enfin, il m’avoit promis à la première vue de Sa Majesté de lui en parler, mais Dieu ne l’a pas permis. Il y a longtemps que l’auteur de sa prison (Quel est cet auteur ? le Père Joseph probablement) est mort. Je m’os promettre que si cette grâce lui est accordée, il achèvera l’ouvrage qu’il avoit entrepris, je peux dire à ma prière, et auquel il avoit travaillé près de deux ans, qui est une réponse à un livre du ministre Le Faucheur contre le Saint-Sacrement ; un mois devant que d’être arrêté, il m’étoit venu donner assurance que toutes les matières qu’il devoit traiter étoient prêtes, et puisque les pierres étoient toutes taillées, que le bâtiment seroit bientôt achevé. Aussi a-t-on trouvé au nombre de ses manuscrits, qui furent dès lors pris, portés on sait bien où, et depuis examinés par toutes sortes de personnes