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PORT-ROYAL

affluaient à cette époque dans les murs de Paris ; il en passa en peu de mois plus de quatre cents. Elles étaient reçues en sœurs, et les préventions, que beaucoup nourrissaient contre les filles de Saint-Cyran, tombèrent : quelques-unes même voulurent rester.[1] Port-Royal fleurissait ainsi et fructifiait au sein de l’affreuse misère de ces temps. Quant à ce qui se passa aux Champs après la sortie des religieuses, on en a des récits très-variés chez Fontaine et ailleurs. M. le duc de Luines, qui venait de se lier étroitement avec Port-Royal, et qui faisait bâtir pour lui le château de Vaumurier à cent pas de l’abbaye, s’occupait, dès 1651, ainsi que M. de Bagnols, de procurer de meilleurs logements aux sœurs ; leur départ y servit. Tout un double étage du cloître s’éleva. Quand la guerre courut le pays, qu’on apprit que Pomponne avait été pillé, et que les Lorrains menaçaient, on se mit à fortifier à la hâte les murailles, et on les flanqua de petites tours comme pour un siège. Ce furent, durant cette année, une maçonnerie et un maniement d’armes continuels. On avait beau y appliquer des versets de l’Écriture, la truelle d’une main et l’épée de l’autre[2] : M. de Saci, qui était déjà préposé à la direction par M. Singlin, gémissait tout bas de ces dérangements, et quelquefois il en réprimandait assez haut. Tous les fusiliers qu’on levait parmi ces Messieurs ou chez les paysans n’étaient pas également adroits, et, un jour, M. de Luines faillit être atteint par un coup de fusil d’un de ces apprentis tirailleurs. Et puis tous n’étaient pas novices, et cela devenait un autre danger. On posa

  1. « Nous avons gagné à la guerre douze Bénédictines, qui ont toutes bonne volonté de bien servir Dieu. » (Lettre de la mère Angélique à M. Le Maître.} Le revenu ordinaire du monastère, pour tant de dépenses, n’était alors que de dix mille livres de rente ; mais il y avait les bienfaiteurs.
  2. Second livre d’Esdras, chap. IV, 17.