Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
PORT-ROYAL

coutume d’avoir longtemps grande patience en semblables affaires qui regardent Dieu et l’Église, où l’on n’a pas d’autre partie que des Docteurs catholiques. Nous en serons plus forts et plus assistés de Dieu en ce temps que nous devons nécessairement nous défendre…

« Il ne faut plus user de silence ni de dissimulation de peur de nuire à ma liberté. Je me sens avoir un tel feu, en ce jour que je viens de célébrer la fête de saint Ignace (non pas Ignace de Loyola, on le pense bien), que, si j’étois libre, je ne sais ce que je ne ferois point.

« Cela me fait voir combien je condamne tous les silences et toutes les omissions qu’on feroit en cette affaire.

« Il y faut une vigilance et une action continuelle, puisque le temps de le faire est venu.

« Ce qu’on dit contre moi maintenant plus que jamais est un effet de la cabale qui craint ma sortie.… Je ne puis que je ne prenne ces remuements qu’on fait contre moi à mon avantage, et que je ne m’en flatte un peu. Je vous dis encore une fois que, quand je croirois rentrer dans le grand Donjon où j’ai été six mois et où j’ai pensé mourir, je penserois faire un crime de garder le silence en cette affaire, dans laquelle je vous prie d’agir avec toute l’étendue de votre esprit et de votre pouvoir.…

« Quand j’aurois fait tous les crimes du monde, j’aurois une grande confiance de mon salut, si Dieu m’avoit fait la grâce de défendre la Grâce, non pas seulement contre les Hérétiques, mais contre les Catholiques mêmes, qui la décrient d’autant plus dangereusement qu’ils ont droit de parler dans l’Église, et qu’ils tâchent par leurs paroles de pervertir tous les particuliers de l’Église..

« Je salue tous mes amis, et les supplie de prendre part à cette lettre, et de n’avoir non plus d’égard à ma prison que si j’étois en pleine liberté.»[1]

Il écrivait ceci le 1er février 1643, après cinq années

  1. Lettres chrétiennes et spirituelles de messire Jean du Verger … (1744) pages 501 et suiv. La date est à rectifier, et elle a paru telle à l’éditeur des Mémoires de Lancelot, tome II, page 126.