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LIVRE DEUXIÈME.

saillie de cette ferveur retrouvée, de ce bouillonnement qui ne le quitta plus, que fut écrite à M. Arnauld une lettre décisive dont il faut citer les principaux passages ; on y voit bien à nu M. de Saint-Cyran, relevé d’un moment de faiblesse, aiguillonnant et déchaînant, pour ainsi dire, le génie polémique du grand Arnauld :

« Tempus tacendi et tempus loquendi. Le temps de parler est arrivé ; ce seroit un crime de se taire, et je ne doute nullement que Dieu ne le punit en notre personne par quelque peine visible et très sensible. Je vous ai dit souvent que je suis très lent dans les grandes et importantes affaires ; mais, quand le temps est arrivé, il m’est impossible de changer ou de perdre un moment pour agir sans cesse dans toute l’étendue de ma lumière et de mon pouvoir.

« … Il n’y a point lieu de douter et d’hésiter dans cette affaire : quand nous devrions tous périr et faire le plus grand vacarme qui ait jamais été, nous ne devons plus laisser ses sermons (les sermons que M. Habert, théologal de Paris, prêchait à Notre-Dame contre les doctrines de la Grâce) sans répondre à tous les chefs en particulier ; nous ferions une grande faute, au jugement de tous les hommes sensés, si nous ne répondions pas.

« Il est certain que le silence et la modestie que nous avons gardée jusqu’à présent nous a fait tort ; mais c’est ma

    laissa plus surprendre à aucun moment. Il n’eut jamais surtout le moindre relâchement à l’égard de la personne même du Cardinal : à tous les compliments et aux protestations que celui-ci ne manquait pas de lui faire adresser de temps en temps, il ne répondait guère que par un respect d’absolu silence. S’il eût seulement dit qu’il était son serviteur ou quelque autre parole d’engagement, il eût cru se perdre et se briser devant Dieu : ce sont ses termes. Et comme M. Le Maître, à qui il disait cela, répliquait : « Mais, Monsieur, que faire donc ? encore faut-il bien répondre quelque chose ? » il répondit : « Baisser les yeux, et adorer Dieu. »

    Illa solo fixos oculos aversa tenebat.

    (Virgile, Énéid. VI, 469.)

    Mais il faut ajouter pour lui :

    Ille solo fixos oculos mentenque Tonanti