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PORT-ROYAL.

à écrire une lettre à celui-ci, qui la devait montrer au Cardinal, — une lettre explicative, très-équivoquée, sur la contrition et l’attrition, accordant à cette dernière d’être suffisante avec le sacrement. Mais, la lettre à peine partie, il sentit sa faute ; il en eut un amer regret, une humiliation secrète, aussitôt suivie d’un surcroît de bouillonnement qui le mit comme hors de lui ; c’est dans ces termes qu’il en écrit à M. d’Andilly peu de jours après : « Je vous avoue que vos langages et vos tempéraments que vous donnez aux paroles, je dis les Académistes, ne s’accordent point bien avec l’éloquence des pensées, des actions et des mouvements que donne la Vérité divine à celui qui la connoît et qui l’aime.[1] » C’est dans une

    Cyran avait eu une si étroite liaison, et qui était oncle également de l’abbé de Rancé. Ministre, secrétaire d’État, gouverneur de Vincennes, Chavigny fit pour le prisonnier ce qu’il pouvait sans déplaire à Richelieu, dont il était le confidentissime, dit Retz, et quelques-uns ajoutaient, le fils. Il paya cher cette faveur de position à la mort du Cardinal. Haï de la reine-mère, il devint la bête du Mazarin ; dépouillé en grande partie du pouvoir qu’il avait espéré posséder en chef, il dissimula durant cinq ans, entra dans la Fronde, se rattacha à l’amitié de M. le Prince, fut mis à Vincennes, dans le propre château qu’il commandait, et en sortit pour intriguer de plus belle : génie habile, hardi, violent, léger, d’une ambition sans mesure, incapable de cette sagesse, dit La Rochefoucauld, qui consiste à savoir parfois s’ennuyer. Malgré son intimité près de M. de Saint-Cyran et ses visites à Port-Royal, où nous le retrouverons en pèlerinage avec M. d’Andilly pendant quelqu’une de ses disgrâces d’ambition, il ne fut jamais qu’un converti, dans son genre, à faire le juste pendant de la princesse de Guemené. À l’article de la mort (octobre 1652), il fit appeler un peu tard M. Singlin, et lui remit en main, à lui et à M. Du Gué de Bagnols, des effets montant à neuf cent soixante et treize mille sept cent trente-quatre livres, pour être restitués comme peu sûrement acquis : il y avait toutes sortes de pots-de-vin là-dedans. M. Singlin, par délicatesse, fit prévenir du dépôt et des intentions la veuve, qui, comme on peut croire, éleva chicane : ce fut une grave affaire sur laquelle nous trouvons de curieux détails manuscrits. Il y sera revenu en temps et lieu.

  1. À part cette concession légère et sitôt rachetée ; le captif ne se