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LIVRE DEUXIÈME.

Le livre auquel je m’arrêterais plutôt ici, bien que n’étant qu’une simple traduction également, mais comme image vive et naïve où se peint tout entier l’aimable traducteur, ce sont ses Pères des Déserts (1647-1652). Il recueillit sous ce titre les saintes Vies, écrites par divers auteurs, de ces premiers ermites et solitaires de la Thébaïde, de la Syrie et autres lieux ; il voulait rendre ces édifiantes histoires accessibles tant aux religieuses de Port-Royal qu’aux personnes du monde. Cet intéressant livre, en effet, est bien de ceux que saint François de Sales aurait aimés et conseillés ; depuis l’Introduction à la Vie dévote, on n’avait point eu de lecture si souriante dans l’édification. C’était proprement la morale en action de cette dévotion de Philothée. Le livre de la Fréquente Communion, en ce qu’il pouvait avoir de redoutable, se trouvait parfaitement adouci et corrigé, en même temps qu’aidé dans ses effets, par ce nouvel écrit d’une forme si différente, d’un usage si attrayant. Le dernier Arnauld avait frappé et convaincu par le dogme ; son vénérable aîné venait appeler à son tour et persuader avec maint récit insinuant. Le dogme rigoureux n’est plus pour rien, il faut l’avouer, dans toutes ces légendes où la crédulité mêle, à tout moment, ses gracieux crépuscules aux lumières supérieures de la foi.[1] D’Andilly,

    voir M. d’Andilly à Pomponne, la conversation tomba sur la manière dont les auteurs travaillaient. Comme il savait que Richelet connaissait particulièrement le célèbre d’Ablancourt, il lui demanda combien de fois cet excellent homme retouchait chaque ouvrage qu’il donnait au public — « Six fois, « répondit Richelet. — « Et moi, lui répliqua M. d’Andilly, j’ai refait dix fois l’Histoire de Josèphe. J’en ai châtié le style avec soin, et l’ai beaucoup plus coupé que celui de mes autres œuvres. »

  1. Il n’y a aucune critique dans ces Vies primitives, et le traducteur ne s’est pas chargé de les contrôler. On eût bien désiré cette critique à Port-Royal. La mère Angélique écrivait à M. Le Maître (22 juin 1652) : « Je ne sais plus ce qu’on doit croire des