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PORT-ROYAL.

dix-huit ans environ, à la veille de persécutions nouvelles. Toute la réforme qu’il avait accomplie fut, après lui, dissipée, et l’abbaye finalement détruite, comme Port-Royal aussi. — Aucun homme, est-il dit, ne se démentit moins que M. de Barcos, ne fut plus mort à tout en cette vie, plus patient dans les souffrances, plus persévérant au bien, plus insensible à la louange comme à l’outrage, plus exact en pureté et en pudeur dans l’usage des créatures, plus absolument pénitent, et d’une pénitence d’autant plus admirable qu’elle était élevée et comme entée sur une grande innocence. « Il étoit de moyenne taille, nous dit-on encore, la physionomie spirituelle, une gravité et un sérieux propres à effrayer les Démons … » Nous aurions cru manquer en quelque chose au premier abbé de Saint-Cyran si nous ne l’avions comme suivi ainsi jusqu’au bout dans le second, dans celui qui est son œuvre encore, et une œuvre si fidèle.[1]

  1. M. de Barcos n’était point moine, quoique abbé : il n’était qu’abbé commendataire, comme M. Le Roi l’était de Haute-Fontaine. M. Treuvé ayant un jour consulté Arnauld sur ce qu’il fallait croire de la condition des abbés commendataires, et ayant allégué l’exemple de M. Le Roi et de M. de Barcos qui étaient morts dans cet état sans en avoir de scrupules, Arnauld répondit : « Je suis persuadé qu’absolument parlant, on peut être abbé commendataire en sûreté de conscience : mais en même temps, je crois qu’il y en a très-peu qui ne se damnent ; parce que mon sentiment est que les Commendes sont du nombre des choses que saint Thomas dit n’être pas essentiellement mauvaises, mais qui contiennent plusieurs difformités qui les rendent mauvaises, à moins qu’elles ne soient corrigées per circumstantias honestantes. Or, c’est ce qui manque à presque tous les abbés commendataires. Mais, s’il y en a jamais eu un à qui elles n’aient pas manqué, c’est M. de Saint-Cyran, le dernier mort, qui, hors le froc, a mené la vie d’un véritable moine, et a fait, par ses instructions et par son exemple, que la règle de saint Benoît est plus parfaitement observée dans ce monastère, que dans aucun autre de l’Église. » L’abbaye de Saint-Cyran, à la date où Arnauld écrivait cela (1684), n’était pas encore détruite. — (Voir à l’Appendice un extrait du Père Rapin sur M. de Barcos.)