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PORT-ROYAL.

des Carabins sous son cousin M. Arnauld ; « né avec beaucoup de bonnes qualités, sans aucun vice considérable, bien fait de sa personne, d’une humeur douce et complaisante, agréable parmi les dames, fier quand il le failoit parmi les hommes, »[1] il eut plus d’un secret chagrin, fut toujours poursuivi d’une sorte de fâcheuse étoile qui empêcha son avancement, et périt finalement d’un coup de feu au siège de Verdun dans une sortie, en 1639. Cette mort subite avait été une grande douleur pour sa sainte mère, madame Arnauld, qui le chérissait extrêmement ; elle s’y résigna pourtant et en tira même sujet de remerciement à Dieu de ce qu’au moins il avait préservé ce cher fils de mourir en duel ; car c’était sa perpétuelle crainte, en un temps où les duels étaient si fréquents et où la misérable coutume des seconds pouvait y engager les moins querelleurs. La conversion du jeune Antoine vint à point pour la consoler.

On appelle conversion à Port-Royal (nous y sommes accoutumés déjà) ce qui semblerait un surcroît presque sans motif dans un christianisme moins intérieur. Le jeune Arnauld n’avait jamais mené une vie autre que régulière. Il avait été élevé d’abord avec ses neveux Le Maître et Saci, dont le premier était son aîné. Ayant terminé sa philosophie au Collège de Lisieux, il s’appliqua quelque temps au Droit et y prenait goût ; mais, sa mère l’en détournant, il commença la théologie en Sorbonne sous M. Lescot. Celui-ci, le même qui interrogea M. de Saint-Cyran à Vincennes, était confesseur du cardinal de Richelieu, par conséquent peu rigoriste à l’endroit de la pénitence, assez bon scolastique dans sa chaire, mais en tout très peu augustinien. M. de Saint-Cyran, encore libre, consulté par madame Arnauld, mit entre les mains du jeune homme, comme

  1. Mémoires de l’abbé Arnauld.