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PORT-ROYAL.

et qui traçait pourtant d’Arnauld le portrait reconnaissable que nous avons vu ; Bourdaloue, dans un endroit même de ses Pensées où il croit devoir se séparer de la doctrine réputée janséniste en la forçant un peu et la grossissant pour la mieux réfuter, — dans le célèbre chapitre sur le petit nombre des Élus — s’écrie :

« Non, certes, il ne s’agit point seulement de les recevoir, ces sacrements si saints en eux-mêmes et si salutaires, mais il faut les recevoir saintement, c’est-à-dire qu’il faut les recevoir avec une véritable conversion de cœur ; et voilà le point de la difficulté. Je n’entreprendrois pas d’approfondir ce terrible mystère, et j’en laisserois à Dieu le jugement ; mais, du reste, n’ignorant pas à quoi se réduisent la plupart de ces conversions de la mort, de ces conversions précipitées, de ces conversions commencées, exécutées, consommées dans l’espace de quelques moments où l’on ne connoît plus guère ce que l’on fait ; de ces conversions qui seroient autant de miracles, si c’étoient de bonnes et de vraies conversions ; et sachant combien il y entre souvent de politique, de sagesse mondaine, de cérémonie, de respect humain, de complaisance pour des amis ou des parents, de crainte servile et toute naturelle, de demi-christianisme, je m’en tiendrois au sentiment de saint Augustin, ou plutôt à celui de tous les Pères, et je dirois en général qu’il est bien à craindre que la pénitence d’un mourant, qui n’est pénitent qu’à la mort, ne meure avec lui, et que ce ne soit une pénitence réprouvée. »

Or, je le demande, que disait autre chose M. de Saint-Cyran à saint Vincent de Paul, qui pourtant, à ce qu’il paraît, s’en choquait comme d’un échec porté à l’efficace des sacrements ? que sentait autre chose M. Le Maître, en entendant M. de Saint-Cyran en prière près du lit de mort de madame d’Andilly ? que faisait Arnauld enfin, dans le livre de la Fréquente Communion, sinon de ruiner la suffisance de ce demi-christianisme de bien des confrères de Bourdaloue ? Bourdaloue, Bossuet, Massillon, sont donc, sur l’article de la Pénitence, des disciples,