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PORT-ROYAL.

vainquit, il ne toucha pas, ou du moins, depuis que le feu particulier à ces querelles s’est éteint, il a cessé complètement de toucher, tandis que Pascal, Bossuet, Bourdaloue encore, sont restés vivants, et qu’ils continuent de parler à ceux-là même qui ne croient pas à leurs doctrines comme absolues vérités. De tout ce qu’a enseigné et proclamé Arnauld, il s’est fait deux parts : 1° les vérités logiques et de grammaire qu’il a contribué à fonder, à éclaircir, ont passé dans l’héritage commun, et, n’étant marquées à son effigie par aucun cachet individuel, ne lui sont pas rapportées ; 2° les autres vérités ou propositions plus particulièrement théologiques, sur lesquelles l’intérêt a cessé, sont restées chez lui classées, ensevelies dans ses quarante-deux tomes, et on ne va pas les lui redemander, puisque rien d’essentiel à l’écrivain ne les entoure d’un jour immortel : de sorte qu’on se passe très aisément de lui et de son souvenir, tant pour ce qu’on lui doit directement que pour ce qu’on a répudié.

Et cependant, tout l’atteste, Arnauld a été l’une des personnes les plus actives, les plus originales, les plus caractérisées de son temps, un symbole d’ardeur et de candeur : comment rien, à peu près rien de cela ne s’est-il peint en ses écrits ? Comme les grands avocats et les grands acteurs, Arnauld a eu toute une part importante et la plus grande, j’ose le croire, de son génie et de ses qualités, qui n’a point passé dans ses ouvrages, qui s’y est figée plutôt que fixée. C’était un grand avocat de Sorbonne ; son vrai cadre ne sort point de cette lice ; il l’y fallait voir, héroïque jouteur, courir et lutter. Il avait du lion, comme l’a dit de lui l’évêque de Montpellier, Colbert, lequel tenait aussi de cette race léonine, pugnace et généreuse.[1]

  1. Troisième Lettre à l’Évêque de Marseille (1730). — Dans ses