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LIVRE DEUXIÈME.

zanci, M. de Saint-Cyran s’adressait aussi au jeune baron de Saint-Ange l’aîné, qui en profita moins, succéda à la charge de son père et eut, par la suite, toutes sortes de dérangements :[1] « Comme j’ai une grande joie, leur écrivait-il, d’entendre dire que quelqu’un a dévotion pour Dieu, j’ai aussitôt une crainte,… à cause de l’expérience que j’ai qu’en plusieurs, je ne dis pas des jeunes gens, mais des hommes même, cette dévotion est semblable aux fleurs qu’on voit paroître au printemps sur les arbres et disparoître bientôt après, sans y laisser aucun fruit. » Et au jeune Saint-Ange en particulier, il écrivait comme dans un touchant pressentiment : « Je vous aime tellement que je sens bien que je commence à vous plaindre en vous voyant croître, parce que je connois à peu près toutes les aventures bonnes et mauvaises qui vous peuvent arriver. » M. de Luzanci persévéra. Un plus jeune Saint-Ange, frère cadet du précédent, et confié dès lors, par la sollicitude du saint captif, aux soins de Lancelot et de M. Le Maître, s’en montra digne jusqu’au bout. Voici en quels termes tout à fait tendres M. de Saint-Cyran écrivait à Lancelot pour achever de lui recommander cet enfant et un autre tout jeune fils de M. d’Andilly encore :[2] « Si Dieu vous fait la grâce de m’accorder ce plaisir sans beaucoup de peine (car pour rien au monde je ne voudrois vous en faire), je prendrai, si je suis jamais en liberté, quelque petit enfant de vos

  1. Ce doit être lui dont il est question chez Tallemant, tome V, p. 286, et qui avait une femme si faite pour le déranger.
  2. Ce tout jeune fils de M. d’Andilly, appelé aussi le Petit Jules ou M. de Villeneuve, bien qu’élevé si tendrement dans la solitude, rentra dans le monde, mais n’y vécut que très-peu et mourut à Calais au moment de commencer sa première campagne sous Fabert. Besoigne, dans son arbre généalogique des Arnauld [Histoire de Port-Royal, tome I), le confond avec l’abbé Arnauld, l’aîné de la famille, dont on a les Mémoires.