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APPENDICE.

se soient trompés quelquefois, cela est possible, mais on ne peut dire sans témérité et sans injustice que ces prêtres, ces religieux qui ont attaqué Saint-Cyran en aient agi de la sorte par malice ou par un autre principe condamnable. Dieu seul voit ce qui est dans la conscience de l’homme ; il est le seul juge des intentions. Je demande donc : Si on se sent porté à croire que Jansénius, Saint-Cyran, ou tout autre, sont dans la bonne foi en faisant la guerre aux Jésuites et que, selon l’expression de l’Écriture, ils s’imaginent agir en cela pour le service de Dieu (Obsequium arbitrentur se praestare Deo), pourquoi n’aurait-on pas la même opinion des Jésuites ou autres docteurs catholiques, qui, eux aussi, croient en conscience devoir s’opposer aux progrès des doctrines Janséniennes ?

Résumons : les Jésuites n’ont pas été les agresseurs ; on les a attaqués à faux sur le dogme et sur les principes généraux de discipline et de morale ; les Jésuites, s’ils ont enseigné quelques erreurs de détail, les ont condamnées eux-mêmes dès qu’elles ont été condamnées par l’Église. Les Jésuites ont eu pour protecteurs et pour amis tous les saints dont l’Église s’honore dans les derniers siècles, saint Charles Borromée, saint François de Sales, sainte Thérèse, saint Alphonse de Liguori ; les Jésuites ont eu pour eux la partie saine et catholique de l’Église. M’ont-ils donc pas quelque droit, à moins de preuve du contraire, à ce qu’on ne suspecte pas leurs intentions et qu’on ne leur en prête point gratuitement de passionnées ou de condamnables ?

Les Jansénistes ont inondé le monde de leurs écrits, tantôt pour se vanter eux-mêmes et pour noircir leurs adversaires, tantôt pour se plaindre de ce que (c’était leur refrain habituel) on les persécutait, on les calomniait toujours. Les Jésuites ont peu écrit, au moins à proportion, surtout pour se défendre eux-mêmes : ils comptaient sur la justice de leur cause, sur la droiture de leurs intentions, sur l’estime des honnêtes gens ; et jusqu’à un certain point, en cela, ils ont eu tort. L’accusation la moins fondée, l’assertion la plus dépourvue de vérité, à force d’être répétées, se transforment à la fin pour le grand nombre en faits incontestables, en certitudes historiques.

Mais, afin d’avoir, en cette affaire, une idée juste et non controuvée des vrais sentiments des Jésuites et des Jansénistes, entrons pour un moment dans l'intérieur des uns et des autres ; voyons, entendons et comparons ce qu’ils écrivent, ce qu’ils disent de part et d’autre dans leur intimité, quels sont leurs entretiens privés, leurs correspondances secrètes.

Dans des Mémoires où sont consignés des détails circonstanciés sur les premiers habitants de Port-Royal[1], on raconte que,

  1. Mémoires pour servir à l’Histoire de Port- Royal et à la Vie de la