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LIVRE PREMIER

opposition présumée au divorce de Monsieur, à qui le cardinal voudrait faire épouser sa nièce : voilà une réelle, bien que lointaine ressemblance.

Quant à Mathilde, Pierre, religieux des Vaux de Sernai,[1] historien de la guerre des Albigeois, raconte d’elle, comme témoin oculaire, un trait touchant. J’en reproduirai toute la scène environnante. Le comte Simon de Montfort assiégeait la ville, le château de Ménerbe (ou Minerve), et l’avait presque réduit (1210). Sur la fin du siège, et pendant que le comte Guillaume de Ménerbe était en pourparler avec le comte de Montfort, l’abbé de Citeaux (Arnaud) survint ; Montfort aussitôt en référa à lui, disant qu’il ne déciderait sur le sort du château que selon la sentence de l’abbé lui-même : « l’entendant, l’abbé eut grande peine, car il désirait voir mourir les ennemis du Christ, et cependant il n’osait les juger à mort, comme moine et prêtre. » Mais il s’arrangea si bien, que l’accord, presque conclu entre Guillaume et le comte, manqua, et que l’assiégé dut se rendre à discrétion. L’abbé alors, toujours pris pour arbitre par le comte, décida que le chef du château et tous ceux même des hérétiques nouveaux ou invétérés, qui voudraient se réconcilier à l’Église, auraient la vie sauve. « Ce qu’entendant, Robert de Mauvoisin, fervent catholique, qui craignait que les hérétiques ne se convertissent par effroi et ne se sauvassent ainsi de mort, résista en face à l’abbé, et dit que plusieurs des guerriers ne supporteraient pas cela. » L’abbé lui répondu en ce sens : « Ne craignez rien ; je sais ce que je fais ; car je crois bien que très peu se convertiront. » Cela dit, la croix en tête et la bannière du comte venant ensuite, on entra dans la ville en chantant le Te Deum. On alla

  1. On écrit aussi, et même plus communément Vaulx-Cerney ou Cernai.