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PORT-ROYAL.

premiers antagonistes de la Compagnie. Cependant il est facile de produire une autre approbation plus formelle et plus directe donnée aux enseignements des théologiens Jésuites, même avant leur suppression. À ce moment solennel et critique où toutes les passions étaient déchaînées, où toutes les puissances étaient conjurées contre les enfants de saint Ignace, le Pape et les évêques ne balancèrent pas à prendre en main la cause de l’innocence opprimée.

Parmi les témoignages nombreux et honorables qu’ils rendirent à la vertu et à la science des religieux persécutés, on doit mettre au premier rang les éloges qu’ils firent de leur doctrine saine et pure, et propre à réformer les mœurs, à inspirer et fortifier la piété ; telles sont les expressions qui reviennent le plus souvent dans les bulles ou brefs du Pontife suprême ainsi que dans les lettres ou mandements de ses frères dans l’Épiscopat[1]. Or, cette appréciation de la doctrine de la Compagnie de Jésus, faite par les premiers pasteurs de l’Église, seuls et vrais juges compétents en cette matière, est d’un tout autre poids aux yeux des Jésuites et de tous les Catholiques fidèles que les jugements pour la plupart dictés par la passion, la prévention ou l’ignorance, tels que pourraient en porter des hommes de parti, hérétiques ou suspects d’hérésie, ou bien des hommes du monde plus ou moins indifférents qui se prononcent avec une présomptueuse assurance sur des matières difficiles qui ne sont pas de leur ressort, et dont ils n’ont pas été à même d’acquérir une connaissance approfondie[2].

Venons maintenant aux accusations soulevées par les Jésuites contre les auteurs du Jansénisme. Mais auparavant rappelons une des règles indiquées plus haut : qu’il est bon et même nécessaire de se placer sur le même terrain et au même point de vue que les parties contendantes dont on doit apprécier les actes.

Or, dans le sujet qui nous occupe, le terrain est celui de la foi, le point de vue est celui de l’enseignement catholique : c’est là le champ clos où se livrent tous les combats ; si donc, pour les ap-

  1. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir l’ouvrage du Père Ravignan, intitulé Clément XIII et Clément XIV, et surtout le second volume où la plupart de ces pièces sont publiées in extenso. Nous indiquons ici plus spécialement les lettres des évêques de France (tome II, pages 222-311, et pages 367 et suiv.). L’unanimité avec laquelle ces prélats défendent la doctrine des Jésuites, alors en butte à tant d’attaques, est digne d’attention.
  2. Ainsi, un écrivain très remarquable à beaucoup d’égards, M. S. de Sacy, a publié une édition de l'Introduction à la Vie dévote, de saint François de Sales : rien de mieux : mais le laïque, l’homme du monde n’a pu résister à la tentation d’examiner, de censurer la doctrine de l’évêque, de l’habile théologien, — d’un grand saint. Et qu’est-il arrivé ? Ce qui devait être : le simple fidèle, qui voulait en remontrer à son pasteur, n’a pas bien entendu les choses mêmes qu’il s’était permis de juger.