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PORT-ROYAL.

nom, et Hippo en langue punique, à ce qu’on prétend ; voulait dire port. On voit quel rapprochement soudain et presque merveilleux ! ces deux lieux essentiels et si distants : l’un, le siège de saint Augustin, du docteur par excellence, du premier grand interprète et, en quelque sorte, de l’évangéliste de la Grâce ; l'autre, après des siècles, le siège et l’asile des restaurateurs et des modernes apôtres de cette doctrine augustinienne de la Grâce ; ce double Port-Royal de salut, en nom comme en fait, cette double tour d’entrée dans le saint royaume, l’une dressée pour l’antiquité, l’autre relevée pour le temps présent, et hors desquelles ils étaient assez portés à croire (les rigides Augustiniens) qu’il n’y avait que perte, exil, égarement sans fin dans les bois épais et les marécages !

Un pronostic moins étymologique et moins littéral, que j’aime à tirer sur Port-Royal, vient de la personne même de ses fondateurs, de ses parents spirituels, Eudes de Sully et Mathilde de Garlande. Il appartient aux pères spirituels, comme aux pères selon la chair, de léguer par leurs vertus une longue bénédiction à leurs enfants : or, l’évêque Eudes et Mathilde étaient dignes en tout de bénir l’avenir de Port-Royal et cette dernière postérité pieuse qui relèverait d’eux. Eudes, saint évêque dont la charité inépuisable et l’aumône forment les traits principaux, avait ce qu’on appelle le don des larmes : étant encore enfant, il arrosait de ses larmes, dit-on, les aumônes qu'il distribuait aux pauvres. Le pape Innocent III se servit de lui pour donner une règle aux religieux de la Rédemption des Captifs, dits Mathurins, qui s’établissaient alors ; le même pape s’adressait à lui pour presser Philippe-Auguste de reprendre Ingeburge, l’épouse légitime répudiée. Saint-Cyran, le vrai père spirituel du second Port-Royal, s’attirera l’animadversion de Richelieu par son oppo-