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PORT-ROYAL.

mi-mai de cette année : limite extrême ! Le bonheur du juste sur la terre peut-il fleurir plus longtemps ? Peu de jours avant la fête, M. de Saint-Cyran avait eu avis par M. d’Andilly et par l’abbé de Saint-Nicolas (depuis évêque d’Angers) qu’il se tramait contre lui quelque chose, mais sans rien d’autrement précis ; et il en avait seulement pris sujet d’instruire avec un redoublement particulier les solitaires, à ce point qu’en ce jour de l’Ascension il fit jusqu’à trois conférences, imitant en cela le divin Maître, est-il dit, qui, sentant approcher l’heure, tenait à ses disciples des discours plus longs et plus relevés. Il avait un pressentiment bien marqué de ce qui l’attendait, et, au matin de cette fête, il dit à M. Le Maître : « Pour aujourd’hui il est trop bon jour, mais pour demain je n’en réponds pas. » Le soir, rentré chez lui, il se fit lire, comme toujours, un passage de l’Écriture ; on tomba sur cet endroit de Jérémie : « ’’Ecce in manibus vestris… Quant à moi, je suis entre vos mains, faites de moi ce qu’il vous plaira[1] » Et il dit encore : « Voilà pour moi ! »

En effet, le lendemain vendredi, 14 mai, dès deux heures du matin, son logis fut investi par les archers du Chevalier du guet au nombre de vingt-deux, et ils se mirent en sentinelle de tous côtés jusque dans les jardins d’alentour. Comme ils virent pourtant que rien ne remuait dans cette maison de paix et de prière,

    s’agira du sentiment profond, de la piété fervente, du renouvellement intérieur de nos Messieurs, de leur caractère moral, de leur trempe d’âme, je ne vous écouterai plus, vous n’y entendez rien. Vous expliquez tout par des intrigues ; les vives sources chrétiennes vous échappent, de même que les générosités de nature vous sont étrangères. Le dirai-je ? vous êtes trop mondain, trop répandu, vous dînez trop souvent en ville, mon Révérend Père. »

  1. Jérém. Proph. XXVI, 14.