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LIVRE PREMIER

des discussions et des disputes. Port-Royal et Jansénisme ne sont pas tout à fait ni toujours la même chose. Les historiens du Jansénisme sont autres que les historiens de Port-Royal. Lorsqu’on lit, par exemple, L’Histoire du Jansénisme de dom Gerberon, on ne croirait pas qu’il s’agit des mêmes événements, de la même histoire que celle qui nous intéresse si fort chez Lancelot, Fontaine et leurs amis. C’est qu’en effet ce n’est pas la même. Le Jansénisme, qui part de Jansénius et de son gros livre de l’Augustinus, est une affaire avant tout théologique ; il y eut là l’école sur le premier plan, la Sorbonne, le collège, les thèses de Louvain, les réquisitoires devant le Conseil du Brabant, les congrégations tenues à Rome, enfin une complication de diplomatie canonique et de vocifération scolastique, qui eussent toujours été peu attrayantes pour nous, et qui ne pourraient se relever que par une discussion approfondie du dogme. Or, sur le dogme même, nous n’aurons à exprimer qu’un avis sérieux et respectueux, ce qui est bien peu en matière de croyance. Port-Royal, par bonheur, est autre chose que cette controverse, quoiqu’il se rencontre bien souvent, trop souvent, avec elle, et qu’il n’apparaisse à certains moments qu’enveloppé de toutes parts, au plus fort du feu et de la fumée. Mais même alors, même aux plus chauds instants de la dispute sorbonnique et jésuitique, durant les débats opiniâtres du Formulaire, et quand au dehors, de Rome à Louvain et du Collège de Clermont aux bancs de l’Université, les intrigues, les clameurs et une sorte d’invective poudreuse ou de belle humeur de réfectoire faisaient le plus rage, — alors même, malgré tout, il y eut, presque sans interruption, le cloître, le sanctuaire, la cellule et le guichet des aumônes, la pratique chrétienne des mœurs et l’intérieur inviolable de certaines âmes, le cabinet d’étude pauvre et silencieux, le désert et la