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LIVRE DEUXIÈME.

— «Ce ne sont ni les prisons ni les persécutions qui m’embarrassent dans cet emploi de la conduite des âmes dit M. Singlin ; je puis dire que je recevrois cela avec joie, et que j’y trouverois ma pâture : mais ce qui me rebute fort, ce sont les oppositions au bien que je voudrois faire, que je trouve dans ceux qui semblent même les plus touchés. J’ai sur les bras une personne qui m’est venue trouver depuis peu, qui me donne de l’exercice…» (Et il entre ici dans le détail des embarras que lui cause ce personnage considérable par son rang et par d’autres raisons encore plus particulières.) — «Il a fort lu l’Introduction à la Vie dévote de M. de Genève, dit M. Singlin : c’est son fort, et sur quoi il me rebat ; car il soutient qu’en suivant ses principes, on devroit être un peu plus indulgent aux pénitents…»

— «Que s’il veut suivre M. de Genève, répondit M. de Saint-Cyran, il faut le prendre au mot, mais il ne faut pas qu’il partage : il est obligé de le suivre dans toutes les règles qu’il prescrit à celui qui veut sérieusement se convertir, entre lesquelles la première est de choisir entre dix mille un conducteur qui ait une plénitude de charité, de science et de prudence, et de lui déférer autant qu’il l’ordonne.… Qu’il cherche seulement cet homme, comme il cherche un bon serviteur pour lui confier ses affaires, et un homme sûr pour lui confier son argent : il le trouvera ; l’Église n’en manque jamais. Il s’en est trouvé dans tous les siècles ; autrement l’Évangile seroit faux. Qui a un bon guide n’a pas besoin de savoir le chemin : il n’a qu’à suivre, dans la volonté qu’il a de marcher et d’aller jusqu’au bout. Cet homme sera l’homme de l’Église, et lui tiendra lieu en quelque sorte de toute l’Église»[1].

  1. M. de Saint-Cyran insiste partout sur la nécessité d’un Directeur ; ainsi dans une lettre à M. de Rebours (Lettres de l’édition de 1744, p. 707) : « C’est par là qu’il doit commencer s’il ne veut errer, et il lui faut ôter la pensée qu’il semble avoir, que Dieu puisse être son Directeur immédiat. Il ne l’a pas voulu être de saint Paul, et l’a renvoyé à un Prêtre …, Il faut, le plus tôt qu’il pourra, qu’il s’adresse à quelque personne visible de l’Église, qui le puisse conduire de la part de Dieu …» On achève de bien saisir, ce me semble, le système théocratique particulier à M. de Saint-Cyran : non pas chaque fidèle pape comme chez les Réfor-