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PORT-ROYAL.

disciple : Certa bonum certamen, en supportant les manquements et les foiblesses des âmes. Rendez-leur la patience que Dieu a eue pour nous ; supportez-les avec la même douceur. Attendez tout de la Grâce qui sait où sont ses Élus ; implorez-la en général et en particulier. Allez de l’action à la contemplation ; dérobez de l’une pour donner à l’autre… Hé ! Monsieur, si je voulois, comme vous, suivre mon inclination, prendrois-je plaisir à tous ces embarras d’esprit qui me chagrinent encore plus que vous ? Mais je suis engagé avec vous, et je puis dire comme vous : Dispensatio mihi credita est. Unusquisque in qua vocatione vocatus est, in ea permaneat[1] Je serois bien plus aise de n’avoir qu’à prier et à lire, que d’être embarrassé de tant de soins.

« Je vous plains dans le trouble où je vous vois ; mais les troubles sont souvent l’effet de l’amour-propre, quoique non pas toujours. Il y a des troubles qui viennent aussi du tempérament et de la crainte naturelle, et de ce que la charité n’est pas encore si grande qu’elle mette l’âme comme dans un état immobile. Dieu aussi nous laisse souvent à nous-mêmes pour nous faire reconnoître ce que nous sommes, nous faire recourir à lui, et nous empêcher de nous élever ; ce qui naît facilement en ceux qui font la charge de maître : Avertente autem te faciem, turbabuntur. Ce sont aussi quelquefois les peines de nos fautes, de nos secrètes complaisances et vanités : ce qui est arrivé à David en ce lieu que je vous cite[2], et à l’Apôtre, en qui Dieu empêchoit l’orgueil qui lui fût venu de sa grande sagesse, par un démon continuel qui ne le troubloit pas seulement, mais qui le souffletoit[3]. Permettez-moi de vous dire que quand notre cœur est simple, et qu’il ne cherche pas ce que Dieu lui envoie, mais qu’il ne fait que l’accepter et le souffrir, il ne doit jamais faire cas de ces troubles. Je viens de lire en la Vie de saint Martin ce que vous savez aussi bien que moi : voulant faire une action de charité, pour laquelle il avoit fait un voyage de

  1. Êp. I aux Corinth. IX, 17, et VII, 20. — « Quand on tient bon dans les peines d’une charge, c’est un signe qu’on y est bien appelé. » (Pensées de M. de Saint-Cyran sur le Sacerdoce.)
  2. Psaume XXIX, 8.
  3. Ép. II aux Corinth. XII, 7.