Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
446
PORT-ROYAL.

ternaire. D’ailleurs il n’en fait pas reproche au saint évêque ; il s’étonne même de le voir si bien inspiré pour son temps et l’en admire. On a cité précédemment[1] ces belles et tempérantes paroles de Saint-Cyran, qui le montrent disciple avant tout de l’esprit bien plus qu’esclave de la science. C’est ainsi encore qu’il a dit de M. de Bérulle, lequel s’était préparé au Sacerdoce par un jeûne extraordinaire de quarante jours : «Il montroit par là que la Grâce avoit dépeint en son âme l’idée de la Prêtrise, quoiqu’il n’en sût pas exactement toutes les conditions et dispositions.» Lui pourtant qui les croyait posséder par l’étude et qui s’estimait fondé à la tradition même, il n’hésitait pas à les articuler en toute leur rigueur et leur splendeur ; et, de même qu’il disait à la sœur Marie-Claire dans l’oracle de la pénitence : De mille âmes il n’en revient pas une, il redisait, s’armant du mot de saint François de Sales, et y redoublant le tonnerre : Sur dix mille prêtres, pas un ! progression effrayante dans les chances de l’abîme et dans la hauteur de plus en plus périlleuse de l’élection !

On touche de plus en plus près aux grandes différences qui séparent la doctrine de Port-Royal et le plus hardi Jansénisme d’avec le Calvinisme et les communions réformées.

On avait abusé, dans l’Église romaine, des sacrements de la Pénitence, de l’Eucharistie et de l’Ordre ; on en était venu à n’y plus voir que des appareils extérieurs et sûrs à la fois, pour se tirer d’embarras devant Dieu, indépendamment de la pureté et de la contrition des cœurs : quelques pratiques cérémonielles suffisaient. Les Réformés mirent bas tout cela comme un vain échafaudage qui ruinait le vrai temple. Ils posèrent (je parie des plus rigides) la nécessité absolue de la

  1. Page 273.