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PORT-ROYAL.

tiels où, sous le titre de Mémoires, il nous a transmis toute la vie, les paroles et l’esprit de ce saint maître. Heureuses et bénies ces vocations modestes et fermes, obéissantes et sûres, ces natures auxquelles il est donné d’arriver tout droit, en reconnaissant un guide illustre, en le suivant à côté et dans l’ombre, en se souvenant jusqu’au bout de lui ! Littérairement parlant, Lancelot est pour M. de Saint-Cyran, dans des teintes plus sombres, ce que Racine fils en ses Mémoires est pour son père.

Au seul nom de Saint-Cyran et à l’idée soudaine qui lui en avait été mue au cœur, Lancelot avait exactement ressenti ce que sentirait un fils orphelin pour un père dont il découvre l’existence, qu’il n’a pas vu encore, qu’il a pourtant retrouvé. Son père spirituel existait : il le savait, il venait de l’apprendre ; ses entrailles avaient parlé. Mais la crainte filiale, le respect extrême, combattaient déjà en lui le violent désir de l’aborder. M. Ferrand, qui lui avait révélé l’abbé de Saint-Cyran, ne le connaissait pas directement lui-même et ne l’avait jamais vu. Lancelot ne le pressait pas moins de questions redoublées et naïves : Étoit-il bien aussi savant que saint Jérôme ? demandait-il ; car il avait lu depuis peu quelques lettres de ce saint qui l’avaient touché. M. Ferrand répondait fort judicieusement, ce semble : «Je comparerois plutôt M. de Saint-Cyran à saint Augustin qu’à saint Jérôme. Il est plus savant que saint Jérôme, tant il possède la théologie, c’est-à-dire le fond, la liaison, et, pour parler ainsi, le système de la doctrine chrétienne.» Et en effet, dans ce sens, M. de Saint-Cyran était plutôt comparable à saint Augustin ; ajoutons vite que pour l’étendue des vues, non plus dans la théologie pure, mais dans l’histoire, dans le développement de l’ordre de la Providence et comme le reflet de la Cité de Dieu sur la terre, et aussi pour la