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LIVRE DEUXIÈME.

Deux ans après, lorsque son père, toujours impénitent, mourut, M. Le Maître, dans le vœu qu’il avait formé d’une inviolable retraite, ne crut pas pouvoir assister aux funérailles ; mais, en revanche, et comme pour s’en excuser, il ne crut pas non plus devoir assister à la prise d’habit de sa sainte mère, qui eut lieu à peu d’intervalle de là, et ce sacrifice ne fut pas le moins sensible de sa vie.

Se peut-il donc concevoir une plus admirable alliance des sentiments de religion et de ceux de nature : ces privations à la fois austères et délicates ; cette lettre à son père d’une réprimande si contenue, d’un respect si tendre ; cette retraite avec messieurs ses frères auprès de ses saintes tantes, à côté d’une mère tout à l’heure religieuse à son tour, et qui, comblée enfin, quand viendra l’heure de mourir, assistée du grand Arnauld son frère, se confessant à M. de Saci son fils, prêtre depuis un an seulement, s’écriera vers le Ciel, dans un ardent sentiment de reconnaissance : «Qu’ai-je fait à Dieu pour avoir un tel fils ?» Elle le disait de M. de Saci, elle le dut penser tout autant de son illustre aîné, M. Le Maître.

M. Le Maître est un grand caractère ; j’ai parlé de ses Plaidoyers assez sévèrement pour le goût ; mais il y a autre chose dans l’homme que le goût, et il avait toutes ces autres choses : force et véhémence d’esprit, chaleur et foyer de cœur, puissance d’étude, droiture de judiciaire, flamme d’imagination, fécondité de plume qui avait succédé au fleuve de la parole ; et tant de qualités si diverses, durant les vingt années qu’il vécut après sa conversion, ne servirent plus qu’à l’accomplissement sous toutes les formes et à la pratique multipliée de la pénitence. Ç’a été véritablement, comme on disait de lui alors, un grand pénitent, le premier de Port-Royal, à ce titre, et le chef des solitaires. Par sa priorité de con-