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LIVRE DEUXIÈME.

pas douter, que, dans le logement très galant qu’elle s’était fait arranger à la Place-Royale, lorsque d’Andilly tout contrit descendait l’escalier, il rencontrait souvent Retz, ou même le gros d’Émery ou tel autre, qui montait. Il est fâcheux d’avoir ainsi la vie des gens en partie double : cela jette dans d’étranges pensées sur ceux dont on ne la sait pas. C’est bien pour la princesse de Guemené, ou encore pour madame de Sablé, que Saint-Pavin aurait pu faire son joli sonnet malicieux :

 N’écoutez qu’une passion :
Deux ensemble, c’est raillerie.
Souffrez moins la galanterie,
Ou quittez la dévotion....

À Port-Royal pourtant, les plus clairvoyants ne furent guère dupes. La mère Angélique, dont beaucoup de

    «beauté, sa grande jeunesse, jointe à une parfaite santé et à tout ce qui peut rendre la vie plus agréable, étoient pour elle des charmes… C’est l’idée qu’elle donna de son contentement, parlant un jour à M. d’Andilly, son ami, qui lui rendoit visite. Une disposition si peu chrétienne toucha si fort ce grand homme, qu’il se crut obligé de lui répondre en deux mots… Ces paroles, dites sans dessein, frappèrent le cœur de cette princesse, et Dieu s’en servit pour la faire rentrer en elle-même… C’étoit en l’année 1639, et M. l'abbé de Saint-Cyran étoit alors prisonnier au château de Vincennes, d’où il conduisoit plusieurs personnes malgré ses chaînes. Dieu répandoit même une bénédiction si abondante sur ses travaux, qu’il n’a jamais produit de si grands fruits que dans ce temps de ses liens… Les grandes vérités dont ses lettres étoient remplies produisirent leur effet dans le cœur de cette princesse. Elle changea entièrement sa vie… Elle se lia très particulièrement à notre monastère ; son dessein étoit même de s’y retirer entièrement à l’avenir, et ce fut dans cette vue qu’elle fit bâtir le corps de logis qui tient à l’église de notre maison de Paris…» Le révérencieux Nécrologe finit pourtant par avouer qu’au bout de six ou sept ans, elle se dissipa de nouveau et cessa de persévérer. Le Coadjuteur nous a dit ce qu’il faut penser de ces six ou sept ans.