Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
346
PORT-ROYAL.

Maître et de Lancelot, rien n’en apprend plus sur sa direction des religieuses à l’intérieur de Port-Royal que ce qu’en a écrit la sœur Marie-Claire. — Cette pieuse cadette des mères Angélique et Agnès, et de la sœur Anne-Eugénie[1], moins forte d’esprit qu’elles, mais d’un naturel charmant, affectueux et passionné, avait été fort imbue de la sainteté et de l’excellence de M. de Langres ; le prélat, dans les premiers temps qu’il venait à Port-Royal, lui avait dit un jour, la voyant si tendrement attachée à la mère Angélique, que le mieux peut-être serait de ne lui plus parler jamais : Marie-Claire, avide d’obéir, prenant ce mot inconsidéré pour un oracle de Dieu, fut, à partir de là, quelques années sans parler du tout à sa sœur. M. de Langres l’avait envoyée ensuite à l’abbaye de Tard, et l’y avait soumise à de nouvelles et rudes épreuves de solitude et d’absolu silence. Elle y était demeurée plus de cinq années sous la mère Agnès ; revenue de là à Port-Royal, au moment de l’extrême conflit de M. de Langres et de M. de Saint-Cyran, elle se montra des plus ardentes à prendre parti contre celui-ci. En vain la mère Angélique, toujours si chère à travers ces années de séparation, en vain la mère Agnès, non moins chère et guérie de ses préventions elle-même, essayaient d’éclairer les scrupules de Marie-Claire ; on ne réussissait qu’à déchirer son cœur. Cette division dura plus de quatorze mois. M. Zamet avait cessé de venir, mais son esprit vivait toujours dans la rebelle. M. d’Andilly l’exhortait sans la vaincre : un jour il la supplia de vouloir bien prier ensemble ; ce qu’ils firent, et Marie-Claire, en se relevant de sa prière, se trouva, est-il dit, une nouvelle créature. Mais ce n'était

  1. Voir précédemment sur la sœur Marie-Claire, p. 180 et 193 : encore une fille de madame Arnauld et une figure du cloître, à physionomie bien distincte sous le voile.