Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
PORT-ROYAL.

à expliquer comment Port-Royal se trouva naturellement et insensiblement lié avec tous les héros et les héroïnes, tous les débris de la Fronde, sans en être le moins du monde comme eux. Cela, raconte-t-on, faisait bien rire le cardinal de Retz et madame de Longueville, qui étaient, certes, bons juges en matière de conspirations et de complots, quand ils entendaient accuser Arnauld, le naïf et le bouillant, d’être un conspirateur. Selon nous, l’accusation d’intrigue et de cabale politique qu’on a intentée confusément, tant aux religieuses qu’aux solitaires de Port-Royal, n’est donc qu’une de ces opinions qu’on se fait en gros et de loin sur certains partis, sur certains groupes d’hommes en histoire, une de ces préventions pour lesquelles il y a peut-être des prétextes suffisants, mais pas de cause fondée, et qui peuvent donner à rire de près à ceux qui savent bien les objets et les circonstances. Pourtant il faut convenir qu’auprès d’esprits déjà prévenus, il y avait plus d’un prétexte assez vraisemblable au soupçon. Il existait alors d’autres Jansénistes, et de moins scrupuleux, que les hommes mêmes de Port-Royal. Et puis, reconnaissons-le encore, les Jansénistes, accusés sans cesse d’un système d’opposition politique en même temps que religieuse, le prirent peu à peu et l’adoptèrent par suite même de cette accusation. On a remarqué que bien des prédictions, chez les oracles de l’Antiquité, ne se sont vérifiées que parce qu’elles avaient été faites ; de même bien des imputations et accusations provocantes créent elles-mêmes, à la longue, le grief qu’elles ont d’abord supposé. On trouverait même qu’il en est une raison profonde dans la doctrine de l’épreuve : tout homme qui n’a pas évité un mal, a pu commencer par en être accusé lorsqu’il en était innocent encore, pour en être tenté. Il