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LIVRE PREMIER.

eux, rendirent les armes de leur opiniastreté à ses pieds, et leurs âmes entre les mains de la saincte Église.
« Mais qu’il me soit loisible, mon cher lecteur, je t’en prie, de dire ce mot en passant. On peut louer beaucoup de riches actions de ce grand Prince, entre lesquelles je vois la preuve de son indicible vaillance et science militaire qu’il vient de rendre maintenant admirée de toute l’Europe ; mais toutefois, quant à moy, je ne puis assez exalter le restablissement de la saincte religion en ces trois Bailliages que je viens de nommer, y ayant veu tant de traits de piété assortis d’une si grande variété d’actions de prudence, constance, magnanimité, justice et débonnaireté[1], qu’en cette seule petite pièce il me sembloit de voir comme en un tableau raccourci tout ce qu’on loue es Princes qui jadis ont le plus ardemment servi à la gloire de Dieu et de l’Église : le théâtre estoit petit, mais les actions grandes. Et comme cet ancien ouvrier ne fut jamais tant estimé pour ses ouvrages de grande forme comme il fut admiré d’avoir sceu faire un navire d’yvoire (voilà le joli qui revient) assorty de tout son équipage, en si petit volume que les aisles d’une abeille le recouvroient tout : aussi estimé-je plus ce que ce grand Prince fit alors en ce petit coin de ses Estats, que beaucoup d’actions de plus grand esclat que plusieurs relèvent jusqu’au ciel. »

Il me semble évident que dans cette préface saint François de Sales cherchait à faire sa paix avec le duc de Savoie, et, après s’être plaint à lui[2] avec une franche amertume, à lui donner des gages extérieurs de soumission et d’admiration. Saisissant une action de ce duc qu’il pouvait louer en conscience, il accumulait, il embarquait sur ce petit navire tous les autres éloges imaginables, qu’il ne pensait guère, et dont il voulait lui faire,

  1. En voilà bien long pour un perdu selon Dieu : cette débonnaireté en particulier, au nombre des louanges données au duc par le saint, revient souvent (voir Lettres inédites, tome I, p. 248 ; tome II, p. 141).
  2. Ou à son tenant lieu, le duc de Nemours, dans le cas où la lettre du 8 mars serait adressée à ce dernier.