Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
LIVRE PREMIER.

lettres de la fin de 1615 et du commencement de 1616, combien ces calomnies s’étendaient autour de lui et lui faisaient amertume, en tombant sur ceux qu’il aimait. Il s’en ouvrit par une lettre très belle et très ferme au duc même, le 8 mars 1616 :[1]

« Monseigneur, je supplie très-humblement Vostre Altesse de me permettre la discrète liberté que mon office me donne envers tous ; les Papes, les Rois et les Princes sont sujets à estre souvent surpris par les accusations et par les rapports ; ils donnent quelques fois des escrits qui sont émanés par obreption et subreption ; c’est pourquoi ils les renvoient à leurs Sénats et conseils, afin que, les parties ouïes, ils soient avisés si la vérité y a été vue ou la fausseté proposée par les impétrans ; les Princes ne peuvent pas se dispenser de suivre cette méthode, y étant obligés à peine de la damnation éternelle. Vostre Altesse a reçu les accusations contre mes frères ; elle a fait justement de les recevoir, si elle ne les a reçues que dans les oreilles ; mais si elle les a reçues dans le cœur, elle me pardonnera si, estant non-seulement son très-humble et fidèle serviteur, mais encore son très-

  1. J’ai suivi l’édition des Lettres inédites, publiées par le chevalier Datta, t. II, p. 148. Les éditions précédentes donnaient cette lettre comme adressée au duc de Nemours. S’il fallait discuter ce point, la lettre du 15 décembre 1615 au duc de Savoie, celle du 4 avril 1616 à un gentilhomme de sa Cour, celle du 15 novembre précédent au marquis de Lans, et toutes les autres circonstances, indiqueraient que c’est à ce duc même que celle du 8 mars 1616 a pu en effet être adressée. Il fut, je le sais, calomnié vers ce temps auprès du duc de Nemours aussi, comme on le voit au liv. VI de sa Vie par Marsollier ; mais les termes de la lettre, où il est question surtout de ses frères, ne sauraient se rapporter à cette calomnie. Après cela, la lettre fut-elle remise positivement au duc de Savoie ? ou ce que nous avons n’est-il que le projet communiqué au président Favre ? Quoi qu’il en soit, il me suffirait ici, pour la suite de mon induction, que la missive eût été simplement projetée et pensée. Fût-elle même à l’adresse directe du duc de Nemours, il me suffirait que le duc de Savoie eût sa part dans l’intention qui la dicta, comme il en avait dans les persécutions qui la provoquèrent.