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PORT-ROYAL.

Au lieu de vertu mettez dévotion, et religion au lieu de sagesse ; changez vite nature, fortune et volupté en grâce, dilection et amour, et vous aurez presque un portrait de l’âme heureuse en Dieu, dans le style de saint François de Sales[1].

Ces rapprochements-là et ces éloges littéraires ne seraient-ils pas au fond une critique sérieuse, une réprimande théologique du trop aimable saint ?

Il n’a pas évité, littérairement encore, les inconvénients et les défauts de sa manière : le mauvais goût abonde chez lui ; un mauvais goût par trop de fleurs, par trop de sucre et de miel, par trop de subtilité de matière lumineuse ; non pas déplaisant ni choquant si vous voulez, affadissant pourtant et noyant à la longue. On lit chez lui, par exemple : « Théotime, parmy les tribulations et regrets d’une vive repentance, Dieu met bien souvent dans le fond de nostre cœur le feu sacré de son amour ; puis cet amour se convertit en l’eau de plusieurs larmes, lesquelles, par un second changement, se convertissent en un autre plus grand feu d’amour… » Nous suivons toute une opération à l’alambic. C’est le mauvais goût du temps, celui de Des Portes, celui de Malherbe imitant le Tansille : Ses soupirs se font vents, … Montaigne plus ferme n’y tombe pas.

Il y a, chez saint François, des chapitres ainsi intitulés : Que le mont Calvaire est la vraye Académie de la dilection. On atteint en propres termes l’euphuisme, le marinisme et le gongorisme de la dévotion.

  1. Il cite Montaigne à divers endroits, dans ses Controverses contre les Protestants (discours xxv et xxvi) : Montaigne y a tout l’air, ma foi ! d’une très bonne et très loyale autorité catholique. « Je me souviens, dit le saint, d’avoir leu dans les Essays du sieur de Montaigne, quoyque laïque, qu’il trouvoit ridicule de voir tracasser entre les mains de toutes sortes de gens le sainct livre des sacrez mystères… » Ce quoyque laïque est joli ; il oublie vraiment que c’est là son moindre défaut.