Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
PORT-ROYAL.

Tant de brillant et de riant à la surface doit tenir au fond même et le déceler : saint François de Sales est décidément optimiste en théologie ; il reste surtout frappé de l’abondance des moyens de salut, et du surcroît d’avantage de la Rédemption, qui fait plus que compenser les inconvénients de la Chute. Il ouvre la voie large, et il la parfume dès l’entrée : «Comme l’arc-en-ciel, dit-il (d’après quelque fable gracieuse), touchant l’espine Aspalathus, la rend plus odorante que les lys, aussi la Rédemption de Nostre-Seigneur, touchant nos misères, elle les rend plus utiles et plus aimables que n’eust jamais esté l’innocence originelle.» Et sur ce qu’on ne peut nier qu’il y a du plus et du moins dans les faveurs de Dieu et que tous ne sont pas également privilégiés, il se console en disant qu’indépendamment de cette rédemption générale et universelle accordée à tout le genre humain, il y a des variétés singulières qui sur certains points relèvent ce fonds commun de grâce et l’embellissent, de telle sorte que l’Église se peut dire un jardin diapré de fleurs infinies, chacune ayant son prix, sa grâce et son émail[1]. N’oublie-t-il pas un peu trop, à travers cette profusion de fleurs, les champignons vénéneux et les serpents[2]? Il dit ailleurs encore, dans une pensée à peu près semblable et sous une image qui achève :

«Représentez-vous de belles colombes aux rayons du soleil, vous les verrez varier en autant de couleurs comme hasard, et de la force même de l’âme, à travers une vie qui courait. Que ne serait-ce pas devenu à la longue sous la discipline, et dans une vie comme ici, tracée ?

  1. Traité de l’Amour de Dieu, liv. II, chap. VII.
  2. Dans son testament, en présence de la mort, il s’en ressouvint pourtant, et dit du monde, dans un arrière-goût amer : «Que son miel semble doux aux premières atteintes, mais que son fiel est aigre !»