Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
PORT-ROYAL

À propos de ces aspects d’imagination qui s’ouvrent plus volontiers dans les premiers temps de Port-Royal, et avant que l’âge et la règle aient tout apaisé, je ne sais rien de plus frappant que des lettres (manuscrites)[1] de la mère Agnès qui se rapportent, il est vrai, à une date un peu postérieure, mais dont plusieurs sont de sa jeunesse encore, et dans lesquelles, à mesure qu’on avance, on voit le bel-esprit tomber et la saillie subtile s’éteindre. Nous aurons plus d’une fois occasion d’en citer des passages : elles rentrent assez dans le tour affectueux de spiritualité de saint François de Sales, avec moins de netteté pourtant et plus de sainte Thérèse. — Ce que je tenais à marquer en ce moment, c’est le premier rayon du matin sur Port-Royal réformé, ce court printemps, j’oserai dire, de la Thébaïde ou de Bethléem. Bientôt cela passe, la réalité chrétienne prend tout. La fleur a disparu, sombre fleur du préau ; le fruit même dans sa couleur et son velouté s’est flétri : il ne reste plus que le grain desséché, mais plein, mais fécond, et qui assure la saison d’avenir éternel.

L’imagination, chez la plupart du moins, ne nous a été donnée qu’à l’origine, dans la jeunesse : c’est comme une voile à part qui se déploie en chaque esquif pour sortir du port, pour rendre cette sortie plus prompte, plus hardie (faut-il dire plus facile ou plus dangereuse ?), ou simplement pour l’embellir comme un pavillon. Mais une fois sorti, si l’on va au but même, à l’horizon sérieux du voyage, si l’on ne veut pas s’amuser à courir les mers pour voir seulement se gonfler cette voile de pourpre légère et capricieuse, elle se re-

    traire qu’on retrouve les symptômes de ces subtiles tristesses de l’âme dans un cloître régénéré.

  1. Manuscrites et inédites en 1840, publiées depuis.