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LIVRE PREMIER.

les Dieux dont ils gardent le tonnerre. Valérie, en introduisant la troupe de comédiens qui tombent à genoux pour implorer la grâce de Genest, fait changer le ton et le rabaisse quasi à celui de l’Intimé des Plaideurs:

 ......... Venez, famille désolée ;
Venez, pauvres enfants qu’on veut rendre orphelins.

On entrevoit ici un beau dénouement qui est manqué : on conçoit possible, vraisemblable, selon les lois de la Grâce et l’intérêt de la tragédie, la conversion de toute la troupe ; on se la figure aisément assistant au supplice de Genest, et, à un certain moment, se précipitant tout entière, se baptisant soudainement de son sang, et s’écriant qu’elle veut mourir avec lui. Mais rien de tel : la piteuse troupe muette est encore à genoux quand le préfet vient annoncer qu’il est trop tard pour supplier César, et que ce grand acteur,

Des plus fameux héros fameux imitateur,
Du théâtre romain la splendeur et la gloire.
Mais si mauvais acteur dedans sa propre histoire,
.....................
A, du courroux des Dieux contre sa perfidie,
Par un acte sanglant fermé la tragédie…

Et le tout finit par une pointe de ce grossier, féroce et en ce moment subtil Maximin, qui remarque que Genest a voulu, par son impiété,

D’une feinte en mourant faire une vérité.

C’est pousser trop loin, pour le coup, le mélange du comique avec le tragique : ce dernier acte, du moins, devait finir tout glorieusement et pathétiquement. Mais si Corneille allait quelquefois au hasard, Rotrou s’y lançait encore plus, Rotrou espèce de Ducis plus franc, plus primitif, marchant et trébuchant à côté de Corneille :