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LIVRE PREMIER.

À part cette incivilité du début, la tirade est belle, grande et finalement touchante. Les délicatesses pourtant de la scène entre Polyeucte et Pauline s’y font à un autre endroit regretter. Au lieu de ce noble et généreux don que Polyeucte veut faire de Pauline à Sévère, Adrien, qui voit déjà Natalie veuve, se montre trop empressé de la donner à n’importe qui :

Veuve dès à présent, par ma mort prononcée,
Sur un plus digne objet adresse ta pensée ;
Ta jeunesse, tes biens, ta vertu, ta beauté,
Te feront mieux trouver que ce qui t’est ôté.

Loin d’être héroïque et magnanime comme chez Polyeucte, le don ainsi exprimé, jeté comme au hasard, n’est plus même élevé ni décent. Cette noble nature de Rotrou avait du vulgaire, du bas. Corneille d’ordinaire est noble, ou enflé, ou subtil, ou au pis un peu comique de naïveté : il n’est pas vulgaire. Rotrou l’est ; il avait de mauvaises habitudes dans sa vie, du désordre, le jeu ; il n’avait pas toujours gardé les mœurs de famille, il fréquentait la taverne et certainement très-peu l’hôtel de Rambouillet. Mais Adrien est redevenu touchant à la fin de cette tirade à Natalie :

Que fais-tu ? tu me suis ! quoi ! tu m’aimes encore ?
Oh ! si de mon désir l’effet pouvait éclore !
Ma sœur (c’est le seul nom dont je te puis nommer),
Que sous de douces lois nous nous pourrions aimer !
Tu saurais que la mort par qui l’âme est ravie
Est la fin de la mort plutôt que de la vie.

Cela est pathétique et tendre de forme comme de fond, presque racinien de langage comme de sentiment.

Natalie se jette alors au cou d’Adrien, car il se trouve qu’elle est chrétienne ; elle l’est presque de naissance, par sa mère. Ce n’est pas comme dans Polyeucte le sang