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PORT-ROYAL

Rotrou, en reprenant toute cette belle et simple théologie, la traite avec plus d’intention pittoresque ou descriptive, pourtant encore avec une digne grandeur. Comme Maximin lui reproche d’adorer un maître nouveau, Adrien répond :

 La nouveauté, Seigneur, de ce Maître des maîtres
Est devant tous les temps et devant tous les êtres :
C’est lui qui du néant a tiré l’univers,
Lui qui dessus la terre a répandu les mers,
Qui de l’air étendit les humides contrées,
Qui sema de brillants les voûtes azurées,
Qui fit naître la guerre entre les éléments
Et qui régla des cieux les divers mouvements ;
La terre à son pouvoir rend un muet hommage,
Les rois sont ses sujets, le monde est son partage ;
Si l’onde est agitée, il la peut affermir ;
S’il querelle les vents, ils n’osent plus frémir ;
S’il commande au soleil, il arrête sa course :
Il est maître de tout comme il en est la source ;
Tout subsiste par lui, sans lui rien n’eût été :
De ce Maître, Seigneur, voilà la nouveauté !

Maximin, à ces mots, entre en fureur ; grossier et cruel il passe de l’amitié pour Adrien à la plus féroce menace. S’il jouissait de se voir ainsi représenté au naturel, à bout portant, il n’était pas chatouilleux. On ramène Adrien dans sa prison. Sa femme Natalie (représentée par Marcelle, cette comédienne un peu coquette de tout à l’heure) le vient trouver ; mais, au premier mot qu’elle essaie, Adrien, moins galant que Polyeucte, et qui n’a pas les délicatesses et politesses de ce cavalier d’Arménie, lequel, même à travers son enthousiasme, accueillait Pauline en disant :

  Madame, quel dessein vous fait me demander ?

Adrien coupe court au dessein qu’il suppose à Natalie :

 ……Tais-toi, femme, et m’écoute un moment !