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pauvres ruines de Port-Royal, combien modestes et imperceptibles auprès de celles de l’antique Rome ! mais c’est le cas de se répéter avec Pascal que la vraie mesure des choses est dans la pensée. Ici, à Lausanne encore, me disais-je, le mysticisme de madame Guyon, repoussé d’autre part, s’est réfugié, s’est ramifié non sans fruit, et n’a pas tout à fait cessé de vivre ; le Jansénisme, son vieil ennemi, trouvera-t-il asile à côté ? Dans cette patrie de Viret, dans ce voisinage de Calvin, il me semblait que c’était le lieu de tenter, s’il se pouvait, l’alliance autrefois tant imputée à Port-Royal et tant calomniée, mais de la tenter surtout à l’endroit de la fraternité chrétienne et de la charité intelligente. Ainsi allaient mes pensées, cherchant partout à l’entour dans cet horizon et se créant à plaisir des points d’appui, des rapports de contraste ou de convenance.

Aujourd’hui que, détaché de ce premier cadre, le livre paraît dans un monde plus vaste et devant un public plus indifférent, la perspective est autre. Je ne dirai pas qu’elle me sourit autant que la première, ce serait mentir. Je ne dirai pas que je compte trouver pour le livre ce que j’ai obtenu ailleurs pour les idées, abri et soleil. Mais, en ayant si longtemps commerce avec des hommes de constance, mainte fois contrariés et battus, j’ai du moins appris d’eux à ne pas trop me fonder au dehors, même quand je suis forcé de m’y produire. Quoiqu’il en