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LIVRE PREMIER

plice, on le sait, qui tremblait sur la charrette en avançant et se sentait défaillir au bas du fatal degré, Pauline, de même, je le crois, l’aurait fait monter devant elle pour le soutenir du regard sous le couteau. Pauline, c’est une madame Roland chrétienne, et qui de plus, pour le ton, a légèrement passé à côté de l’hôtel Rambouillet, au lieu que l’autre a passé par l’hôtel du ministère girondin. De là, chacune à sa manière peut sembler un peu pompeuse ; mais, au fond, il y a une réelle, une héroïque ressemblance.

Corneille essaya encore, après Polyeucte, de poursuivre cette veine du drame religieux, qu’il avait rouverte si heureusement ; mais il n’y réussit plus. Son martyre de Théodore (1645), bien loin d’un succès, alla presque au scandale[1] La poésie sacrée, sous forme lyrique, l’occupa. Quelques années après Polyeucte, et par suite de la même impulsion chrétienne combinée avec la chute de ses derniers ouvrages, il donna sa traduction en vers de l’Imitation: il paraît que c’est sur le conseil d’amis jésuites qu’il s’y était mis. Cette traduction, si peu lue aujourd’hui et si difficile à lire de suite, a pourtant de beaux endroits qu’on y découvre avec plaisir, au prix d’un premier dégoût. Quel plus heureux début de chapitre que celui-ci (liv. II, chap. IV):

Pour t’élever de terre, Homme, il te faut deux ailes,
La pureté de cœur et la simplicité ;
Elles te porteront avec facilité
Jusqu’à l’abîme heureux des clartés éternelles !

  1. Ce qui n’empêche pas l'abbé d’Aubignac, en vertu de plusieurs raisons didactiques, de proclamer Théodore le chef-d’œuvre de Corneille (Pratique du Théâtre, livre II, chap, VIII). Il y a de ces gens qui ont ainsi, dans leurs préférences, une certitude de mauvais goût qui rassure, et qui vérifie par le contraire tout ce qu’on doit penser d’un auteur et d’un livre :

    Ma foi ! le jugement sert bien dans la lecture.