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LIVRE PREMIER

ASSUÉRUS.

Ne connaissez-vous pas la voix de votre époux ?
Encore un coup, vivez, et revenez à vous.

On n’est pas en droit toutefois de conjecturer que dans cette pièce d’Esther, où, en général, sous prétexte de Saint-Cyr, il se ressouvenait certainement tout bas de Port-Royal, Racine ait songé, pour la précédente scène en particulier, à l’évanouissement de la mère Angélique. Il est douteux même qu'il ail fait le rapprochement après coup ; car toute cette scène du Guichet, si émouvante et si dramatique, cette Journée que M. Royer-Collard aime à citer comme une des grandes pages de la nature humaine, comme une de celles que, même pour des philosophes, aucune de Plutarque n’efface en triomphe moral et en beauté de caractère. Racine, dans son élégant Abrégé, n’en dit pas un seul mot, et il se contente de noter que, vers ce temps, la mère Angélique fit fermer de bonnes murailles son abbaye. Tant les Abrégés, même les mieux écrits et les plus faits en connaissance de cause, sont insuffisants et infidèles ! — Et puis, l’oserai-je dire ? dans cet oubli, dans cette omission de Racine, j’entrevois de la timidité littéraire et du goût : il jugea peut-être la scène trop forte, — trop forte de naturel et de naïveté. Il craignit les railleurs.

Je reviens à la jeune Angélique évanouie. À cet instant, tout change de face. Un père est toujours père, dit Pauline, dans le Polyeucte de Corneille : M. Arnauld, à la vue de sa fille sans mouvement, oubliant tout et qu’il est offensé, s’écrie, lui tend les bras à travers cette grille qui s’oppose ; c’est pour le coup qu’il veut entrer. — Il appelle les religieuses pour qu’elles viennent du dedans secourir leur abbesse. Madame Arnauld, M. d’Andilly et le reste de la famille, avertis aux cris de M. Arnauld, se précipitent, de leur côté, à la porte du monastère, et heurtent derechef pour faire venir ; mais les religieuses,