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LIVRE PREMIER

l’inscrire ici, le redire bien haut dans tous les autres cas analogues : avec la Grâce, pas de milieu ni de réserve ; tout ou rien ! c’est le premier mot.

5° À travers les formes diverses de communion et la particularité des moyens, des appareils qui aident à produire cet état, qu’on y arrive par un jubilé, par une confession générale, par une prière et une effusion soli-

    salaire, on les nourrissait à l’abbaye ; la jeune abbesse assistait elle-même à la distribution, et leur faisait lire par un petit garçon, pendant le repas, un livre spirituel proportionné à leur intelligence. Un jour qu’un libertin là présent, se permit une plaisanterie sur ce qu’on lisait, elle ne put, dit-on, retenir ses larmes, tant elle faisait toutes ces choses avec zèle et sentiment. Et, pour se représenter d’avance comment les aumônes, les bienfaisances de tout genre, spirituelles et autres, les écoles même de Port-Royal, ne devinrent effectivement possibles qu’au prix de cette austérité et de ces pratiques premières, il suffit de réfléchir sur cette page de l’Abregé de Racine : « Il n’est pas croyable combien de pauvres familles, à Paris et à la campagne, subsistaient des charités que l’une et l’autre maison leur faisaient : celle des Champs a eu longtemps un médecin et un chirurgien qui n’avaient presque d’autre occupation que de traiter les pauvres malades des environs, et d’aller dans tous les villages leur porter les remèdes et les autres soulagements nécessaires ; et depuis que ce monastère s’est vu hors d’état d’entretenir ni médecin ni chirurgien, les religieuses ne laissent pas de fournir les mêmes remèdes… Au lieu de tous ces ouvrages frivoles, où l’industrie de la plupart des autres religieuses s’occupe pour amuser la curiosité des personnes du siècle, on serait surpris de voir avec quelle industrie les religieuses de Port-Royal savent rassembler jusqu’aux plus petites rognures d’étoffes, pour en revêtir des enfants et des femmes qui n’ont pas de quoi se couvrir, et en combien de manières leur charité les rend ingénieuses pour assister les pauvres, toutes pauvres qu’elles sont elles-mêmes. Dieu, qui les voit agir dans le secret, sait combien de fois elles ont donné, pour ainsi dire, de leur propre substance, et se sont ôté le pain des mains (Pourquoi pas de la bouche ? un plus hardi que Racine l’aurait mis) pour en fournir à ceux qui en manquaient… » Et ce ne sont pas là des façons de dire ; le fond est plus strict que ne l’indiquerait académiquement la phrase, on la doit prendre à la lettre. On entrevoit maintenant la fin charitable du jeûne et des austérités.