Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
PORT-ROYAL

prière et non sans effroi, j’ai loisir encore de relever dans ce qui précède certaines notions sur l’état nouveau de son âme, et j’en ai besoin pour donner à la scène qui suivra tout son sens et toute sa lumière.

Il s’agit des caractères propres à cet état dit de Grâce, des signes du moins qui en sont comme l’accompagnement distinctif et la condition la plus constante : simples traits, après tout, qui se peuvent saisir du dehors, et qui servent à figurer une idée, assez grossière sans doute, mais non pas fausse, de ce qui devrait être uniquement senti.

Cet état de Grâce, en effet, change l’âme, la régénère et la renouvelle. Pour employer une image heureuse qu’un homme d’esprit a appliquée à un autre amour, qui n’est que la forme inférieure de cet amour divin, la Grâce, pour ainsi dire, cristallise l’âme, qui, auparavant, était vague, diverse et coulante. Oui, cette âme qui, un moment encore auparavant, coulait et tombait comme un fleuve de Babylone, réfléchissant au hasard ses bords, s’arrête, se fixe d’un coup, prend. Elle se redresse en cristal pur, en diamant, et devient une citadelle de Sion brillante et inexpugnable. Tous les contraires s’y associent en même temps dans une excellence mystérieuse : ce qui était coulant jusqu’alors et fugitif, y devient fixe et solide ; ce qui était dur et opaque, y devient jaillissant et lumineux. L’eau devient cristal, le rocher devient source, tout devient lumière. C’est, en un mot, la cristallisation, non pas seulement fixe, mais vive, non pas de glace, mais de feu ; une cristallisation active, lumineuse et enflammée.

Et toutes ces images, si subtiles que je tâche de les faire, sont encore de la bien grossière et païenne métamorphose, pour donner idée d’un acte ineffable qui est la suprême vie.

N’étant pas saint Jean à Patmos, c’est Dante qu’il